Un temps de chiffon pour la survivance.
Que deviendra cette autre vie qui porte ton nom ? Cette existence factice née dans le purin des regrets et le refus de te perdre. Cette autre silhouette quitu enrobes dans mes seuls yeux. Ce visage sans âme qui persécute mes pensées.
Tu me sollicites là où je m’endors, là où je demeure absent de moi-même comme une coquille de noix sans fruit. Tu occupes ma place et tu te dissimules jusqu’aux racines de mes cheveux, et tu me simules dans le miroir où je regarde. Ton fantôme déloge ma raison, désunis les liens que la conscience avait pourtantpréservés. Tu m’envahis comme une fuite d’eau souterraine et je me noie dans ton image. Je bois à toi comme une éponge inhumée dans ton sang. Te porter en moi avec autant d’assiduité et d’éblouissement me contraint et m’oblige à me reformuler sans cesse d’un Moi qui n’est plus mien, d’un Moi autre.
Persister ainsi, je le sais bien, serait accepter le désastre qui me plonge au-delà de l’amour, au-delà de la perception du néant. Suis-je condamné à être cet homme que tu empêches de rêver plus haut et plus grand qu’un simple amour fraternel ?
Tes yeux sont des trous dans lesquels poussent des chrysanthèmes. Tes mains venues de derrière les branches du ciel sont l’espoir dénudé des caresses que nous ne pourront plus nous donner. Ton corps tout entier est un cimetière où je meurs chaque jour, à chaque promenade. C’est ma vie qui avorte. C’est mes sens qui ne peuvent plus retenir le voile de ton apparence.
Qu’allons-nous devenir dans cette tourbe destituée de ses limons ? Que vais-je faire de toi et toi de moi ?
La perte est si grande que les forêts de l’Amazonie sont de simples tâches sur la carte de mon univers. Et, pourtant, je n’ai qu’à fermer les yeux pour te voir traverser les ruisseaux et torrents où nage mon cœur. Et, pourtant même estropié, je vais à ta rencontre. Même aveuglé et sans direction pré-établies, je vais vers toi comme on marche vers des lambeaux d’amertumes restés blottis dans la source première. Je vais devant parce que derrière n’a plus de place pour accueillir nos ombres. Je vais d’un pas lent et sourd à la rencontre de l’amour et de sa défectueuse capacité à faire durer ce qu’il a promu. Je vais au bout de monde chercher des lunes fanfaronnes, des étoiles attachées au noir par des ficelles. Je vais doucement vers la chute, et je vacille comme une ombre que nos bougies éternelles font danser dans l’abîme qui nous offre son lit de survivance.
Tu vois, je t’écris pour reprendre acte de la misère qui m’ensevelit, pour réveiller la peur du vide qui nous trahit, pour reprendre là où on l’avait laissé, la vie qui submerge la mort de ses éclats déguisés et deses morsures vaines.
Doit-on vraiment raconter autre chose ? Exprimer sa fêlure n’ôte rien au puits dans lequel nous sombrons.