Toujours au bord du naufrage de l’éphémère.
Chaque bulbe de toi est un morceau de solitude. Il est un territoire hermétique, un monde clos, que seul l’amour parvient encore à pénétrer quelquefois. Chaque représentation, chaque image broute aux âmes mortes. Nos âmes mortes. Chaque relent nous est une coursive piégée par laquelle transitent nos mémoires graveleuses et nous débitons à l’oubli nos traversées vagabondes. L’oubli. Il réclame son obole, sa part de vie désastreuse, sa part de chair écarlate, sa bonté. Chaque inspiration est un souffle exilé des tempêtes humaines. Vacillantes de précaires. Toujours au bord du naufrage de l’éphémère. Dans le pli incertain des hasards de virus endormis. Il y a des solitudes qui s’y meurent. Des tristesses et des chagrins dans l’encornure des respirations, dans l’articulation de la plainte, dans sa démesure gémissante. Et les souvenirs que l’on espère rieurs nous viennent de nos bazars indisponibles à la raison, des soleils qui réchauffent encore nos souterrains et nos caves remplies de bons vins. Il y a des fièvres inoculées dans la voix et l’alcool de nos souvenances. Des coqueluches et des varicelles. Les recueillements de la postérité ont le goût de ce qui se termine comme une bougie s’éteint dévorée par l’air. Sans doute, connaissent-ils mieux que personne, la lumière qu’ils traînent derrière eux. Le sacre d’une disparition est un engloutissement profond. La cérémonie du sans jugement de la flèche qui a oublié sa mission première. Trois lancés vers le ciel comme des salves de consécrations illuminant nos ignorances et nos impuissances.
La solitude est-ce une pitié de soi ? Dans ce désert, rien ne parle, rien ne bouge. Et cependant… La bouche promène sur des oasis providentiels. Le cœur se dissipe dans les vagues du sable, les mains chahutent les grains désordonnés et le regard s’accroche aux cris transcendés par toutes les victimes arrêtées à l’immobilité des hurlements, aux cris perçants restés dans les sources profondes de l’humanité. Entends-tu quelquefois, ces chants de vie éteinte remonter à la surface ? Ces voix anciennes comme repliées dans le naufrage de la terre ?
Solitaires de nature, nos ombres se mélangent.
Nous sommes si nombreux aux creux de l’obscurité que la parole y est lourde et
la voix pâteuse comme une cire molle. Dans la culbute des heures dures, nous
avons pitié de nous-mêmes. Nous cherchons, chacun, dans nos désespérances, un
coin de lumière propice à nous extirper de nos corps et de nos âmes. Nous
bavardons avec l’écume de nos torpeurs, cisaillant l’unité protectrice de notre
seule pensée. Nous sommes seuls. Désespérément seuls. Seuls d’avenir, seuls de
passé. Seuls de l’invraisemblable communauté des hommes. Seuls et uniques. Et
nous nous convoquons aux autres pour nous débarrasser de nos échos d’amour
propre. De l’imminence cotonneuse de nos fiertés et de nos désarrois. Un lâcher
prise, un désenvoûtement. Nous pourrions être ce nourrisson plongé dans une
piscine pour la toute première fois et qui flotte sans jamais avoir appris à
nager. Et, nous sentir légers.