Nos roulottes en ruine.
Peut-être l’abrègement, l’atténuation est de te faire exister de ma propre existence. Peut-être, atteindre le paroxysme du désir est-ce accéder à son dépassement ? Le présent résiste tellement mieux au futur qu’au passé. Plus que de supporter l’absence, je préfère la porter. Vivre offre le délestage, le désengorgement. On ne s’échappe pas du tragique des faits, on retourne à soi inlassablement comme l’eau retourne de la mer aux neiges de montagne dans une circulaire où c’est le mouvement qui est effort et souffrance. Peut-être faut-il accepter la douleur que l’on ne sait éviter ?
Le bonheur est un compromis, une entente cordiale, une acceptation conciliée.
Vivre de l’amour c’est mourir niais. Niais et bête de toute la beauté du monde, de sa merveilleuse et fascinante démonstration à nous rendre dépendant de nous-mêmes.
Ce n'est rien l’absence (trois fois rien), sinon un sablier qui se déverse et se dissout au fleuve que l’on borde dans sa dérobade magistrale.
Nous forons la mort dans sa carapace gisante et dans son empreinte fossilisée. Ce rejet parfait, cette chute harmonieuse, cette délivrance supposée nous affranchit de toute résistance.
Et si tu étais vraiment présente, serais-je en mesure de te dire autre chose que des mots chargés d’émotions ?
L’illusion ne serait-elle pas d’envisager nos mots comme des trains où se colportent la bonté et l’amour qu’on leur a confié ? Peut-être, n’entendrais-tu pas le grondement rauque s’exhalant de mon ventre. Le ciel triche si souvent lorsqu’il brocarde sa vérité sans fond.
Tu sais de moi ce que je ne sais pas et ne saurai jamais vraiment. Tu sais l’envahissement de mes entrailles, la roche dure enregistrée de souffrances et l’immaîtrisable déchéance de mes sommations à vouloir extirper du mot son accent si particulier lorsque le vent lui confère sa musique, sa mélodie, son authenticité.
Nos désirs sont nos défaillances les plus visibles. Et t’exprimer ma blessure devient vite un labyrinthe. Chaque mot, chaque syllabe se convertit en des sons plus ou moins mélodieux. Certains sont des bruits assourdissants conduisant plus volontiers à la fuite. D’autres se glissent en nous comme la poésie manquante que nous attendions. Rien n’est dit d’avance.
Heureusement, le désir nourrit l’audace et lorsqu’elle atteint son exacerbation vive, l’élan ne peut plus être contenu. Heureusement le désir cohabite avec la prise de risque naturelle à se dévoiler à l’autre. Heureusement, tous les sarcasmes débités envers soi-même s’effondrent de la même manière que des îles s’ensevelissent à la fureur des eaux montantes.
Fêlure contre fêlure l’amour cherche sa place. Il visite chaque aspérité, chaque trou, chaque alcôve. Il sonde comme un juge suprême ce qui peut lui être un secours, un coin de soulagement, une main tendue à ses propres carences.
Par l’interrogation je reconstitue peu à peu la trame de mon histoire. Celle qui me définit et relate indirectement le monde dans lequel mes yeux et mes tourments se confondent en une vague spongieuse, et buveuse d’écumes. Dans l’amoncellement, je retrouve doucement des nappes plus profondes, des strates oubliées. Des lacunes.
L’écriture est alors devenue l’expression de ma quête introspective, l’allitération intimiste de ma recherche, l’outil commun et singulier de ma découverte. Et, je me construis. Pas à pas. Page à page. Je me construis en me défaisant.
Tout de ce voyage est l’exode aliéné à l’envahissement, à la séquestration des nuits d’ombres qui flânent en nous. Passages dissonants et troublants par lesquels retentit l’univers affaibli de mon poids.
Dans cette moisson des mémoires calfeutrées, l'oubli perdure à tresser dans les mailles de ma détresse, ton visage, tes yeux ronds, tes joues enrobées dodelinantes où des averses intermittentes pleurent au tamis de mes yeux.
Un baume vif s’enroule à ta nuit close. Une réminiscence dorée se déploie où toute blancheur n'est que l'œuvre d'une envolée de sel. Puis se perd dans ma peau la chandelle qui fut tes yeux.
Une seule forteresse, une seule vie, une seule voûte. Traverser les miroirs du désastre accompli, non pas lire la faillite, faire en sorte qu’elle nous traduise, saisir cet espace où nul autre n'a autant habité l’amour.
On ne peut se construire sans se débâtir pareillement. Nos ruines ne sont pas nos ennemies, au contraire, elles offrent leurs poussières à la reconstitution de l’église de nos engagements. Des roulottes entières de fragments concoctent doucement de nos épurements le ciment de nos prochaines exultations.
Voyageurs, nos chemins n’ont pas d’autres traces que la bave blanche de nos efforts à nous considérer digne de nous-mêmes. Et le pouls de nos pas prend la cadence de nos oublis.