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LA COLLINE AUX CIGALES
11 février 2010

De ce qui s’écrit, de ce qui se dit : le mot. (suite2)

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Ecrire. Les mots quittent la montagne. Une phrase roule jusqu’en bas. Un écho trébuche, une émotion butte contre l’épaisseur de la langue. Le regard suspendu, l’haleine en suspension, la respiration dans la marge d’attente. Images. Trémolos et aspirations.

Rejet. Aimantation. Un autre souffle vient cogner la feuille, le carnet, la note. Note de musique tirée de sa gangue, extirpée d’une relecture des soupirs.

Les mots roulent, roulent et viennent dire. Le texte s’écrit, prend forme.

S’écrit la présence immédiate accompagnée des vagues ourlées des fins de tempête. L’eau et le sel se séparent dans la force des matières qui veulent s’identifier. Prendre corps, prendre forme, avoir un visage, une voix humaine traduite comme un chant de marin croisant les foudres de la mer, entre vie et mort, dans l’urgence luttant contre la nuit profonde qui engloutie tout.

Terminer, finir.

Prendre fin de s’écrire.

Renouveler plus loin, récidiver. Ailleurs, autrement, avec un autre râle, un autre corps, un autre regard et une autre langue vers un nouveau visage.

Au seuil de l’écriture. Pour ainsi dire, la parole dans sa fiction t’emporte et te soulève. Mots de brocs empalés sur l’immédiat, la langue pousse dans ton jardin à consolation. Germe tantôt féroce et pointu, tantôt graine de résilience, elle souffle aux rythmes de tes échos.

Pour ainsi dire, la résonance parle ta mélodie, tes notes lointaines et tes soupirs profonds. Chaque pause danse une maternelle, chaque attente ruisselle comme un torrent d’enfance où s’effondrent les châteaux de sable, et où le sable reprend sa position initiale.

Pour ainsi dire, le protocole de l’imaginaire cueille sur son passage le réel inassouvi et taille le récit dans les buissons du vécu. Quelquefois, tu deviens toi-même la récitation que tu déclames d’un seul jet, d’une seule poussée, exclamant le venin qui te parcourt et te sillonne aux emprises des sens là où s’interprète le désir de vivre associé aux exigences qui prévalent à ton existence.

Pour ainsi dire, tu puises à tes dérives le sens de ta lecture du monde. Tu t’écris comme une perspective primitive de l’instant de ta mort. C’est dans le chaos des traits que ta droite signe ses reliefs et ses appels témoignant la survivance. Petits épis de blés et minuscules roucoulements où s’immisce la vie restante, têtue et obstinée à pourvoir à sa gloire, à sa magnificence.

Pour ainsi dire, là où tu n’es plus tapie dans l’ombre, c’est la lumière qui te précède. Tu es dans la bohème du dire où le faire médite. Ton vouloir est prêt à bondir hors de cette partition. Tes mots, sac au dos et chaussures de randonnée, sont posés à l’attente de leur départ d’aventure dans les lieux des espaces naturels de l’errance, dans le no man’s land où s’impriment les nomades de nos déserts.

Pour ainsi dire, il te faut retourner où se construit la singularité qui se mue. Dire est une telle écriture sans voix que tu retournes à l’image qui habite tes émotions, dans le paradoxal de ton énigme. Le puits est sans fond, mais l’eau y est claire.

Dire du mot. Mots posés sur du papier.

Ecrire est un acte sauvage de débroussaillement, une machette tranchante qui fraye un chemin dans une forêt de cire. Ecrire, C’est se livrer à la menace du fantasme charnu des sens qui livrent leurs combats au fin fond du réel atterré, subjugué de sa part d’illusions vivantes.

Etranges paradoxes où l’étranger de soi cherche à devenir intime. Comme un épais brouillard, le leurre s’attache à l’inconnu pour lui donner un aspect si personnel qu’il se confond presque entièrement avec ce que l’imaginaire tente d’être.

L’écriture n’est jamais neutre même lorsqu’elle flirte avec l’improbable et l’invraisemblable.

La réalité dans son sommeil de sacre introduit au dormeur la part éveillée de sa conscience. Conscience aux jugements bafoués d’incertains et de désordres qui se révèlent à la vérité du jour comme un amas de certitudes mélangées des ruines familières et des horizons encore vierges de toute vie.

A la voie de ta voix. Accroché à ta voix le timbre du chaos, l’horizon musical des sources ignorées où bascule l’ivresse des rythmes sous de fausses mélopées, des farfadettes de bruits lapant l’écorce des résonances. A ta voix, tout est accroché au son des oiseaux muets dans l’abstinence des becs à s’ouvrir sous les écumes qui gravitent dans l’opacité nuageuse des tes membranes, le filament des désordres du monde et le soleil bleu des ciels remplis de mirages enchantés.

Ne pas entendre le bruit de la pierre qui tombe en toi depuis l’origine c’est être limité à la fragile réalité du constat immédiat que tout privilégie. Et cependant c’est ne pas entendre les myriades d’atomes qui te chantent plus que tu n’es vraiment. Une simple voix d’accroche murailles, intonations des échos qui rebondissent comme des serpolets de lumière dans un abîme silencieux habité par l’envoûtement des ondes qui se brisent dans un infini d’émerveillements.

Puiser aux vocales vibrantes d’écorchures c’est un peu écouter dans le souterrain de ton ombre la léthargique pause du silence envahissant le calme vulnérable de l’île première par laquelle crécelle ta voix d’enfance comme le frisson d’une feuille d’ambre qui se détache du corps pour voler légère d’un labyrinthe sans issues à un ordre rangé de rochers d’acier.

L’affable distance de la nature à nos extrémités brûlantes tranche la perplexité comme un bûcheron perdu au cœur d’un océan, et nos forêts ne sont plus que des déserts d’amertume dont le fossile sert d’épitaphe. Ci-gît la brûlure assoiffée des flamboyances antédiluviennes. Ta voix est un tonnerre que la foudre accompagne comme le noyau d’une cerise lorsqu’il flirte avec le soleil.

T’entendre. Prendre le chemin où court le ruisseau de tes ruissellements aussi silencieux que le regard de vacuité que la mort désireuse vient chercher dans le rire. T’entendre comme on prend la main du vertige pour lui faire traverser l’épreuve de la conjuration de l’apocalypse.

Ta voix enfin au cœur de la mienne comme une pluie de nécessités où se déploie une douce musique trépidante des battements incompréhensibles des ouragans impétueux des ravages des unissons. Dans l’unité du son flotte la perdition des échos qui n’ont plus lieu d’être. Lié et nu à ton bruit je m’efface comme le filigrane d’une sur-empreinte. J’écoute chanter le naufrage convergeant de nos souffles et je danse dans le sommeil désencombré des ruptures d’équivoques pour ne vibrer que dans l’alcôve de tes spasmes. Dans ta voix ripe l’odeur de mon orage.

Bivouac. Dans la virgule avant ta place, le lieu tissé et tressé de l’approche de toi. Tu n’es pas véritablement là et pourtant combien de pensées inondent l’instant de tes essences encore perceptibles. Peut-être, s’agit-il de te faire renaître d’un espace que tu occupes habituellement. Peut-être, le manque créé-t-il un lieu d’émerveillement vide qui se passe des présences. Un lieu à rebondir, à sauter, à faire du saut à l’élastique, un lieu à te reconstruire aux feuilles d’émotions restées en soi suspendues à une stimulation paradoxale.

L’intime amortie du repos des attentes laisse l’écriture à l’épreuve aveugle d’une pause, d’un intervalle inoccupé. Dans l’apparence.

Cohérence implacable du monde senti, du réel empirique, de la croisée des béatitudes, du point nouveau de l’étincelle où chaque chose, chaque pensée, chaque monde est dans la surprise d’un déploiement possible.

Réticence du voyage immobile qui transporte au-delà de toutes frontières, voyage sans fin et sans port, voyage dans lequel conscience du réel et inconscience oscillent au balancier des interprétations. Le figuratif prend pied dans la réalité et devient alors le danger d’un mensonge auquel se réfère l’existence.

L’écriture vient d’ailleurs, de son propre rêve. Et, le rêve n’est jamais aussi clair que dans le limpide du mot qui lui annonce le voyage. Gris clair dans la brisure de nos voix, bleu opaline dans la méprise de nos sens, rouge écarlate dans le cadran de nos absences. Nuit d’étoiles sans ciel, où conspirent nos yeux fermés à refabriquer le monde des mondes qui habille nos désirs.

Nos yeux se croisent. Inaccomplis.

Extraire, dire, cracher : du négligé sur du négligeable que l'on aperçoit dans les rayons de lumière au contre-jour du verbe choisi, dans le vacarme des ombres où les mots semblent perdre leurs couleurs et leurs étanchéités face à l'agitation d'une danse fébrile où s’immisce le doute et le stratagème des révélations.

Nos souffles ponctuent de leurs voix silencieuses, l’abrasif, le feu, la ronce qui passe au fond de nos gorges.

Te dire la halte précieuse de la seconde qui inspire à plein fouet l’angoisse terrifiante à la vie avant de lui insuffler son expiration vive.

Te dire l’escale du temps afin que la parole puise au cœur des cendres endormies le venin d’une braise toujours jaillissante.

Te dire serait t’évoquer cette pause, ce soupir entre le cri et le silence où la vie rote entre deux mondes.

A la survie des décombres, le mot se suppose, se persuade, se remplit des mensonges et des fictions qui grattent nos ruches d’alphabets à se soumettre pour satisfaire. Complaisance heureuse ou pas, nos bouches piquent comme des abeilles tout ce qui pourrait mettre en péril la certitude qui nous retient à quai comme des navires sans destination.

Redimension. Ecrire dans la rupture d’un soi, avec l’audace des rebelles qui n’ont riennu3 à perdre, avec la révolte des toisons vibrantes du corps que le désir envahit.

L’atome pour seule certitude là où l’esprit s’accole au corps sans connaître la validité de leur unicité. Matière. Homme de granit né pour inventer et pour créer, inventant sans cesse, indéfiniment. Inventant jusqu’à la création de ses propres stèles, de ses propres obélisques à piquer le ciel.

Le socle d’un rocher dressé au fond du ventre, sculpté de son histoire en une statue immobile, immuable, impénétrable ; dure et âcre comme la survie du Big-bang de la vie primitive en constante implosion.

Nous ne sommes qu’un outil du temps, passagers imparfaits d’une course sans autre objet, sans autre dessein. Souvent invalides à offrir un désir encore plus grand à nos sens tout entiers, déchus et réduits aux fragmentaires cutanés de nos petites satisfactions égoïstes, résumés à une estime de soi toujours gonflée de prérogatives ficelées à nos petits mondes.

Ecrire c’est rêver éveillé, c’est compenser sa solitude par son imaginaire. C’est se prolonger à l’intimité de ses frontières. Dans l’empilement qui tantôt nous écrase et tantôt nous libère. Empilements de cendres et de brûlures plus ou moins vives qui sont toutes néanmoins des cicatrices qui dessinent le parcours emprunté comme un témoignage métamorphosé en verdict.

Ce qui échappe au temps parmi la foule d’informations reçues, et ce qui reste de ce que nous avons choisi ou considérer comme prédominant, l’essentiel de nos émotions et de nos contritions à nous mouvoir dans une mer où nager n’est plus le nécessaire comportement pour préserver le souffle inconditionnel à la survivance.

La jactance de nos plaisirs ou de nos déplaisirs amoncelés que nos mémoires conservent afin que nous puissions réveiller en nous d’anciennes émotions, rouvrir des armoires d’émotions aux sensations toujours prégnantes et nous rappeler le sourire d’une première fois ou l’effroi d’une peur plus grande encore que notre seule mémoire.

Métabolismes d’humains, hommes d’héritages confus faits de partages et de ruptures, de clivages et de cisailles, néanmoins seuls dans leurs puits, à marcher dans l’apesanteur des images que nos yeux transportent comme un album devenu un étau à compresser, à écraser nos flammes et nos lumières en de fines lamelles d’eucalyptus comme des chairs séchées, déshydratées que seules nos pluies possessives iront balayer comme des trop plein de poussières obstruant nos caniveaux.

Fêlures d’amour dans l’antichambre des sentiments, les sens se querellent le souverain droit du désir.

Quitter l’enfance par les yeux du monde qui ne voit que le temps qui passe. Quelque chose résonne dans le mutisme du temps que l’histoire ne traduit pas. Serait-ce donc cela, une verticale qui s’incline et se couche ?

Plan oblique d’une destinée tourmentée par l’interprétation des échos. Les murs s’écroulent et cependant le regard persiste à ne pas voir au-delà comme si une frontière virtuelle affirmait que toute chose existe dans l’esprit uniquement par la conviction, parce que l’on y croit assidûment

Les sens se croisent sans s’emmêler, les vertiges aussi.

Balance de quatre sous qui ne pèse que les mots qui s’envolent, seule la peur féroce avec ses grosses dents à déchiqueter toute crue l’expression de l’inconnu qui s’enveloppe sans maîtrise aucune autour de nos morales obsolètes. Préjugés inconscients, instincts grégaires, la droite demeure mais les zigzags et l’oscillation des mouvements dérangent l’alphabet morse des convenances incrustées à nos gènes. C’est la mort qui nous parle de la vie. C’est la mort qui fait naître.

Une seule lettre nous manque et nous voilà anéantis. Dans le non-sens, la marche des Sacré-Cœur auréolés des doutes nécessaires à l’étonnement et à la magnificence. Dans ta main le fil de soi où s’agrippent nos démons, dans ta gorge la fournaise des mots qui se crachent comme des braises que le feu refuse. Ce n’est pas la mémoire qui saigne, non, c’est la matière elle-même qui se bricole un pansement. L’atome se fout de nous, il persiste à digérer le temps qui s’accomplit dans la mutation.

Le bout de monde plane sur nous, et la mort introduite ne supporte pas le sans issue.

Dans nos greniers, nos fantômes accomplissent la danse du ventre, et leurs bouches jouent avec le feu comme avec des ballons ypérites qu’elles s’envoient les unes aux autres.

L’imaginaire tend à l’imaginable et nos têtes bien ancrées aux stèles des raisons s’envolent comme des cerfs-volants jouent dans le ciel à tracer des routes de voltiges que nous ne pourront suivre tant il nous faudrait la légèreté et la folie des paroxysmes de l’absolu soif d’être.

La visite des ruines se termine là où elle a commencé, c’est-à-dire au cœur de soi, à la pierre sculptée, aux cailloux de drain, au rocher indomptable que la mer flagelle sans discontinuité.

On termine par s’habiller de la peau des autres pour persister à se réchauffer des froidures à se vivre seul.

La vie, véritable encre vivante, persiste et perdure en deçà de tous effacements, tu ouvres la fenêtre et c’est toute la poussière en mouvement qui grignote l’air dans un faisceau de lumière éphémère.

La somme des rendez-vous manqués demeure dans l’entassement des souvenirs comme des révélations de nos incapacités à embrasser le vent qui passe, l’étincelle qui crépite, la feuille morte qui tourbillonne à portée de main et de cœur.

Ecrire est me dire à moi-même une part d’indicible.

En suivant. T’écrire naît en marchant et meurt dans des labyrinthes que je piétine comme des feuilles froissées et craquantes d’un automne prolixe. De nos chaos, des lueurs remontent et viennent suspendre nos détresses comme des étoiles que le noir de la nuit illumine dans l’épaisseur de nos mots.

La lumière transporte des fougues que nul autre élément ne saurait transplanter. Un mot est toujours greffé d’un peu de lumière. L’inscription au début méticuleuse devient vite brouillonne et il faut épouser l’éclair pour en traduire une petite part. Dans l’éclat, les mots sont des sciures indescriptibles. Tout s’enfuit si vite que la feuille où j’écris se plie sous le poids du dire, un peu comme nos êtres se fanent et s’étiolent à l’appel d’un sommeil de plomb.

Ne te dire que la flamme qui héberge ma tendresse, que le flocon qui s’évapore presque instantanément, pour que ton monde recueille le mien, pour que tes yeux absorbent le visage de mes buées et pour que nos égarements soient ces radeaux qui flottent sur nos sources emmêlées.

Je me sens si dépourvu, à l’amarre du muet, aux socles des encres de silence, dans le pouls de ma soif qui n’a d’autres tremplins que le chemin de mes lèvres et de mes mains. Ecrire et t’écrire comme un chirurgien qui coud les notes de son piano pour délivrer une cohérence qui bascule comme un poteau fragile, un langage de poussières où l’effondrement créé le souffle qui recouvre la salive de mes racines en exil. Nos cristaux sont les pelures de notre caillou là-bas dans nos ventres où se déchirent nos échos et nos cris d’enfance tenus en respect par la folle danse de nos peurs. Dans nos miroirs la crainte est à l’image des courants d’air qui habillent nos vertiges. Nos voix sont des ponts qui par moment joignent nos rives et par d’autres des écharpes qui s’enroulent à nos paroles. Ce sont les mots qui nous traquent et pas le contraire. C’est eux qui marquent le pas dans nos statues immobiles. Dans nos chairs sont inséminées les avalanches par lesquelles s’effondrent nos soleils et nos tempêtes. Nos mots sont parfois des matadors en habit de lumière donnant l’estocade et parfois des Gavroches chantant : « je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire. Le nez dans le ruisseau, c’est la faute à Rousseau… »

Nous sommes ces misérables aux accents en pointillés dans la résonance de nos êtres.

Si tout lieu neuf est une pomme à croquer, nos pieds sont des chiffons où s’essuient nos lunes et nos bouffées qui mijotent dans les aubes à naître. Nous marchons doucement sans que les images de nos miroirs nous possèdent. Nous nous accomplissons dans la halte. La halte où se taisent l’écriture et la parole pure. Dans la paume du silence comme un poing refermé, dans la pause où s’écoule et se répand l’ombre comme un nuage chargé de pluie fraîche et douce, nous croisons nos aveugles murmures et nous déplions nos pas pour écouter leurs traces qui s’enfoncent sous nos peaux.

Le silence est dans sa croûte. Langue d’héritage, langue perdue en mutation constante sur le fil électrique des jours où se rassemblent les hirondelles pour un nouveau voyage. Langue de corbeau aveugle des ciseaux qui subsistent après le dire, dans le recueillement des envolées où se médite l’effacement dans la parodie des ombres. La parole défaillante recluse dans la gangue des inventaires et qui cherche sa force aux besoins des autres. Le mot se dérobe. Cache-cache dans le face-à-face. Le futur cherche sans doute à en découdre avec cet immédiat immobile. Le passé comme une lame affûtée rase de prés l’existence à naître.

Paradoxe. Nous n’avons rien à dire et nous parlons, parlons comme des pies bavardent. Des voix occupent l’espace. Moulins de paroles où se brassent et se malaxent nos farines. Nous n’avons rien à dire et nous parlons, parlons jusqu’à époumoner nos carences, jusqu’à livrer à la compensation les tourments de nos discordes, jusqu’à déloger l’ennui qui resserre à l’étau le souffle du désir.

Dans le face-à-face avec le silence l’air s’effondre. Le vide s’écroule pour laisser place à un autre vide. Un autre temps mort se réfugie sous la langue. Les joues se dilatent emprisonnant la voix. Dans la gorge le nid des murmures s’épuise à l’attente. A la suspension. Tout y flotte comme un sentiment sans amarre. Le désir inflamme et la parole devient une toux, un tic, un mimétisme, un toc, un son irréductible, une musique d’outre-tombe.

L’insoluble miasme est inutile et délétère. Reste au paradoxe l’abondance d’une solitude neuve où s’entrechoquent les accents des mots, où se dé-existe l’épuisement à dire dans un total désistement, dans un renoncement achoppé de blanc que la moindre lumière efface. Dans l’incarnation narrative des soupirs qui trouent nos carapaces et dénudent nos apparences. A l’envers de l’endroit chaotique se retisse le poème d’un exil. On a beau dire et taire, on reste soi-même et le mot nous déshabille autant que son silence nous afflige et nous paralyse à une forme d’oubli. Te parler est mon unique bien, ma seule compétence à lâcher prise sur les registres désordonnés d’une bibliothèque à sentiments. Dans cette alcôve où s’épure l’émotion à l’acide du bien-entendu. La parole dort comme de l’eau qui boue.

Vide. Une lointaine parole comme un petit caillou resté sous la langue. Un signe, un son, un symbole. Et puis la salive. Et puis l’haleine. Et puis le cœur et son battement. Et puis le souffle.

Un mot lointain resté à l’étouffer du dire dans le silence presque religieux d’une voix sans commandements, sans injonction. Juste une parole comme un fil invisible et qui porte toutes les autres paroles. Juste une expression, la sienne, la mienne, celle du monde. Et un vague écho lâchant prise avec le réel confirmé.

Car en vérité, rien ne se dit, rien ne se colporte, tout se tait dans la mémoire du temps qui n’est elle-même pas une vraie mémoire mais un calice où les jours vont naître sur deux gouttes d’eau dans la similitude des langues mortes que plus personne n’utilise, sauf pour y pêcher quelquefois une racine, un signifiant. Un insignifié accroché aux registres d’une éternité sans mots.

Une étoile existe du baptême des vœux dont je la forge.

Quelque part déroutant. J’ai le souvenir d’une nuit, d’une nuit dépolie sur le revers du cœur. D’une nuit sans aucun matin, une nuit qui dure longtemps. Depuis je ne dors que d’un œil, depuis je dors du bout du cœur. Je dors dans la lenteur du secret des lumières.

J’ai le souvenir d’une nuit où quelque chose se perd, où quelque chose tombe, chute dans l’espace comme tombe une pluie de glace qui importune.

Il manque toujours un mot. C'est le mot qui manque à toutes les phrases...

C’est une nuit sans emphase, un long mouvement fragile qui troue les mémoires. Je me souviens d’un ciel sans étoiles, d’une berceuse sans refrain. Une nuit de silence, un temps replié sur toutes les absences.

J’ai le souvenir d’une nuit, oubliée parmi toutes les autres. Une nuit si légère qu’elle s’évapore dans la peau de l’autre. Qu’elle s’efface comme une buée, comme un trait de craie, un tiret de nuage. Une nuit sans souvenir, une nuit de perles et de roches blottit dans un coin de peau, dans un grain de soupir.

Il manque toujours un mot. C'est le mot qui manque à toutes les phrases...

pascin_femme_seins_nusC’est une voix sans parole, une musique qui crépite comme un feu de cheminée. Une histoire muette qui s’inscrit sans lettre et sans dessin. Une nuit de voix basses et de murmures inaudibles, une nuit de presque rien. Un bout de toi, une brèche de moi, un océan sans lumière perdu dans un coin de nous.

J’ai le souvenir d’une nuit d’argile où les ombres se réveillent et dansent dans le silence profond comme des sirènes de fumée aux sourires qui piquent les yeux, aux visages qui froissent les cieux et délient les songes. Une nuit où les mains se rejoignent et parlent la langue des couvertures et celle des émotions. Une nuit fragile qui coule de son écrin comme une fontaine douce arrosant le matin.

C’était un matin charmant, une fin de nuit sans sommeil véritable, juste des regards sous les paupières, juste des souvenirs gravés dans des reflets incertains. Juste une mélancolie comme lorsque lambine de soi dans les yeux de l’enfant que l’on a connu que l’on a su et habité.

J’ai le souvenir d’une nuit qui n’aura connu vraiment ni le noir où tout s’efface ni l’aube prématurée submergeant l’espoir. Cette enfance perdue que la vie grignote et dont les copeaux remontent à la surface comme des bulles d’air cliquetant la surface d’une eau immobile.

De cette nuit sans limite j’ai gardé la peau moite et la sueur du vertige comme un enfant dort auprès de son nounours pour apaiser la crainte de s’endormir et ne plus se réveiller.

J’ai le souvenir d’une nuit d’argile qui cherche encore où va se coudre le jour.

Il manque toujours un mot. C'est le mot qui manque à toutes les phrases...

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