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LA COLLINE AUX CIGALES
25 janvier 2010

A aimer sa propre désespérance.

Woman_in_Black_Stockings__1900

Curieusement, ce matin tôt, sans trop de lumière, j’habite d’autres lieux, sorti de moi, sur un terrain vague sorti du temps. Tu es encore là, proche, dans le rictus et les reflets d’une nuit passée à te composer comme l’on fait des gammes répétitives afin d’en mémoriser l’écriture. Le désir est toujours là, vierge de toute prononciation, nu comme une peau sans garniture. Narcisse est venu nous rejoindre, il grime tes formes et ton parfum pour te laisser paraître comme il me plait de t’imaginer. Douce, pulpeuse, à l’arrogance des ombres qui cachent jusqu’à ton visage. Ton être confirme le mien.

Le soleil poursuit sa route et le jour s’ote de son manteau qui l’a recouvert le temps d’un sommeil. Le temps d’un rêve à ne plus être lumière, à ne plus être à l’attachement des herbes qui poussent et des neiges qui fondent.

Sous mes paupières s’est replié l’artifice de tes formes et ton visage se calque sur le mien. Tes mains jouent avec les miennes. Nous sommes superposés l’un sur l’autre.

Tu me manques et par conséquent je te façonne à la manière des oiseaux qui rêvent des arbres et de leurs branchages accueillants. Je voudrais revenir à moi, reprendre acte de mes gestes et de mes soupirs, mais tu t’es blottie si profondément que rien ne te déloge. Je ne peux me débarrasser de mon désir de toi. Il me tenaille de ses absolument et il me semble que je ne pourrais me délester qu’une fois repu.

A bien y réfléchir, ce n’est pas toi que je veux avec autant d’obstination, mais le plaisir imaginaire que j’y attributs. Le fantasme est puissant.

Que voyons-nous du réel si ce n’est sa part la plus dominante ? Celle qui nous resserre à son emprise, nous réduit à sa nécessité. Je te vois et te sens or tu n’es pas là.

Et si tu étais vraiment présente que pourrais-je te dire : que des mots chargés de mes émotions ? Les recevrais-tu, les comprendrais-tu ? L’illusion est de croire que nos mots transportent la bonté et l’amour qu’on leur a confié. Peut-être n’entendrais-tu pas le grondement rauque qui résonne dans mon ventre. Peut-être ne recevrais-tu qu’une apparence trompeuse d’une demande et d’une attente qui n’aurait nul écho en toi. Peut-être, traduirais-tu de mon silence seulement la part ombilicale et égoiste du rayonnement qui me pousse à me livrer de ma carence.

Incarné de nos terribles bruits qui tintent secs, le désir n’a pas accoutumance à loger les habits les plus séduisants.

Que de souffrance est portée dans cette faille, dans ce réduit où habite ce qui nous corrompt de notre maîtrise. Nos désirs sont nos défaillances les plus visibles.

T’exprimer ma blessure devient alors un labyrinthe. Chaque mot, chaque syllabe se convertit en des sons plus ou moins mélodieux. Certains sont des bruits assourdissants qui conduisent plus volontiers à la fuite. D’autres se glissent en nous comme la musique manquante que nous attendions. Rien n’est dit d’avance.

Heureusement le désir nourrit l’audace et lorsqu’elle atteint son paroxysme, l’élan ne peut plus être contenu. Heureusement le désir cohabite avec la prise de risque naturelle à se dévoiler à l’autre défait de tous les sarcasmes qui nous ont habités.

Fèlure contre fèlure l’amour cherche sa place. Il visite chaque aspirité, chaque trou, chaque alcôve. Il apprécie comme un juge suprème ce qui peut lui être un secours, un coin de soulagement, une main tendue à ses propres carences.

C’est en m’interrogeant que je reconstitue peu à peu la trame de mon histoire. Celle qui me définit et qui relate indirectement le monde dans lequel mes yeux et mes tourments se confondent en une vague spongieuse, et toujours inssaisissable.

Dans l’amoncellement, je retrouve peu à peu des nappes plus profondes, des strates oubliées. Des lacunes.

L’écriture est alors devenue l’expression de ma quête introspective, l’alitération intimiste de ma recherche, l’outil commun et singulier de ma découverte. Je me construis.

Rien n’est autre que l’espace de ce voyage aux périples indubitables, aux passages dissonnants et troublants par lesquels je résonne à moi-même d’une universalité défaillante et cependant imminente.

Mon dedans est mon ailleurs, mon en-moi expansif. Je traque à l’immensité les rêves désuets que mon enfance a semé un peu partout dans une précarité innocente. Mes antinomies reflétent mes débordements, mes axiomes s’y dépècent comme autant de gouffres. Le paradoxe est monnaie courante. Le déferlement embroche mes horizons comme si l’immédiateté avait finie par réunir tous les temps. Comme si d’hier à aujourd’hui, la naissance et la mort s’unissaient d’un seul jaillissement.

L’évidence est encore parsemée d’expériences dubitatives et le tragique y frôle le comique sans que se fraie le chemin dual des certitudes fondées sur de l’infinitif. Tout le conditionnel abroge incessamment la définition qu’une autre ne tarde pas à reprendre, à reconstituer, à émerger comme plus sûre. Je me poursuis comme l’on poursuit une étincelle qui nous conduirait à la source lumineuse. Je m’éloigne et me rapproche du succédané que l’existence m’offre sans résistances. On ne peut se construire sans se débâtir inlassablement. Nos ruines ne sont pas nos ennemies, au contraire, elles offrent leurs poussières à la reconstitution de la cathédrale de nos engagements. Des caravanes entières de fragments concoctent doucement de nos épurements le ciment de nos prochaines exultations.

Curieusement, ce matin, la nuit est une buée dans laquelle je ne me noie pas.

Arrivons-nous quelque part, avec nos mules chargées, nous qui nous demandons sans cesse où nous sommes ? Nos désespérances ont des lèvres muettes lorsqu’il s’agit d’arquer nos cœurs rampants sur des braises que d’autres rives ont sues déployer hors du tourment des tempêtes. Voyageurs, nos chemins n’ont pas d’autres traces que la bave de nos efforts à nous considérer digne de nous-mêmes. Et le pouls de nos pas prend la cadence de nos oublis.

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Commentaires
A
Vous exprimez superbement le besoin d'écriture, dans cette recherche incessante à s'aimer ...
V
Arriverons-nous quelque part, les mains vides et le coeur gros?<br /> Très beau texte.<br /> A vous
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