E - 005 - Presque rien.
Je ne crois pas que l’on puisse dépasser, outrepasser ce que la vie dans sa souffrance soulage. Au bord du gouffre de la mort irréelle et cependant matérielle, nos océans sont des artefacts et nos errances des quêtes désespérées. La vie n’est pas le témoignage d’un quelconque héritage autre que cette chaîne incompréhensible qui perdure au-delà des générations.
Vivre n’est ni une question, ni une réponse, c’est juste ressentir le malaise de l’artifice qui nous est promue dés le premier jour, dés le premier cri.
Ce que nous savons de la saveur n’est que le visage du monde que nous transportons comme des bêtes chargées, des mules ignorantes grimpant nos sacrifices à nous résoudre à n’être rien d’autre que vivants. Je dis sacrifices parce que nos rêves ne sont que les serments hypothétiques d’une réalité accablante, cuisante comme un feu à rôtir nos yeux, nos regards portés et posés sur des représentations inoculés de symboles humains. Faits de chair et de sang, faits de glaise et d’alluvions souterraines. Nous ne savons même pas ce que nous transportons exactement. Mais nous sommes là. Vivants et révoltés, vivants et domestiqués à des destins en forme d’entonnoir évasé à l’arrivée, réduit à un simple conduit étroit à l’autre bout. Et nous terminons tous par la même terminaison comme un verbe inconjugable demeurant irrémédiablement à l’infinitif quoiqu’on fasse ou advienne.
Il ne s’agit en rien d’être fataliste ou consumériste ce qui ne jugule pas davantage nos désarrois à prendre conscience de nos incapacités et de nos impossibilités à prétendre dompter une nature bien plus puissante que tous les projets réunis des hommes.
Il ne nous reste que l’amour pour tenter encore de croire que la vie n’est pas seulement une tragédie de fait et qu’elle peut aussi nous offrir la transcendance indispensable à nos petites existences. Nous possédons la chance, une chance fantastique, nous pouvons nous extraire de nous-mêmes pour être bien plus que des surhommes, mais la vie elle-même. Suffit de presque rien… suffit juste d’être le souffle dans le souffle, l’eau dans la mer, l’air dans l’apesanteur de nos déterminations.