→ 38 - Déporté.
Je ne dirai rien de cette voix partie ailleurs, exilée aux lunes imaginaires. Elle a déménagé et emporté avec elle tous les mots. Ici ne subsiste qu’une musique sans rythme.
Je ne dirai rien de ce vacarme inaudible qui cache le langage dans le gâchis des silences où rien ne s’affranchit.
Par quelle syllabe devrais-je commencer le mot « amour », par quelle mimique arriverais-je à lui donner son ampleur pour le voir se déployer de ses ailes d’ange ?
Je ne dirai rien des frasques qui envahissent autant que des tempêtes de sucre pourrissant le sang. Ni de l’alcool qui baigne mon cœur, à cette heure de démence.
Chaque mot me dévore.
Sur le bord de l’humain, l’effluve ne consent qu’à l’ivresse de mes sens en bataille. Mon enfance s’avorte de ses fous-rire. La vie de moi ne ment pas aux vertiges.
Que pourrais-je dire aux versants de ses collines sur lesquelles le thym et la farigoule étouffent une innocence qui se perd dans le temps ?
Le désert est si vaste. Pour dire l’anéantissement, il faudrait la fissure de l’ombre. Il faudrait habiter le chaos tout entier. Et savoir extirper du vide, le mot qui n’existe pas encore. Le souffle est violent et arrache sur son passage ce qui était resté sur le bout de la langue.
Il ne me reste que mes yeux pour te dire. Me taire dans le creux de tes promenades est espérer que tu me ramènes à toi, dans le hasard des conversations de ton cœur.
Je suis ce déporté qui attend de tes nouvelles. Dans ma cage sans barreaux, le ciel me parle de toi. Il est bleu même la nuit.