Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LA COLLINE AUX CIGALES
14 janvier 2009

Gaston Bachelard

balthus1

Gaston Bachelard et le morceau de bois

Le philosophe des sciences définit l'erreur comme le moteur du progrès scientifique. À condition toutefois que le savant entreprenne une « psychanalyse de ses erreurs initiales ».

Par Charles Pépin

Longtemps, la réflexion fut présentée ­comme ce qui doit résister au réflexe ­premier. Avec Gaston Bachelard, l'esprit scientifique moderne réclame que l'on ­résiste non seulement au réflexe premier, mais aussi « à la première réflexion » : à la façon dont notre esprit reçoit les choses intuitivement, projette des catégories générales à partir de simples images ou expériences. Et il n'est pas anodin que cette méfiance à l'égard du pouvoir fascinant des images vienne d'un philosophe et épistémologue, qui était aussi poète et critique littéraire : les ­images, il savait ce que c'était. Il connaissait, ­comme Sigmund Freud, leur pouvoir de condensation du sens. D'où sa célèbre thèse, démontrée en 1938 dans « La formation de l'esprit scientifique » : le progrès n'est qu'une suite d'erreurs rectifiées.
Dès les premières pages du livre, il prend l'exemple du morceau de bois qui « flotte ». « L'équilibre des corps flottants, écrit-il, fait l'objet d'une intuition familière qui est un tissu d'erreurs. » Il montre comment, depuis que nous sommes enfants, nous attribuons une sorte d'activité au corps qui flotte ou, plus encore, au corps qui « nage ». En disant que le « morceau de bois » flotte, nous ­sommes déjà sous l'emprise du pouvoir du langage et de l'image, invités à penser que le morceau de bois est le sujet de la flottaison, ou même qu'il veut flotter. D'ailleurs, poursuit Bachelard, si nous tentons d'une pression de la main d'enfoncer le morceau de bois sous l'eau, nous allons dire « qu'il résiste ». Nous n'allons pas d'abord attribuer la résistance à l'eau. Voilà pourquoi il est si « difficile de faire comprendre le principe d'Archimède dans son étonnante simplicité mathématique, si l'on n'a pas d'abord critiqué et désorganisé le complexe impur des intuitions ­premières ». Sans cette psychanalyse des erreurs initiales, sans cette « catharsis intellectuelle et affective », nulle culture scientifique n'est possible. C'est aussi la raison pour laquelle il est si compliqué d'enseigner les sciences physiques, les adolescents arrivant avec des « connaissances » empiriques déjà constituées. Plus que de leur proposer d'acquérir une culture expérimentale, le professeur doit les inviter à en changer, à « renverser les obstacles déjà amoncelés par la vie quotidienne ».
Bachelard montre que les savants ont souvent, comme ces adolescents, comme les rêveurs que nous sommes, été séduits par ces images qui fascinent notre raison et viennent constituer une manière d'inconscient de l'esprit scientifique qui exigera « une lente et pénible psychanalyse pour être exorcisé ». Mais ce travail lent et pénible participe du dynamisme d'un progrès scientifique jamais achevé. L'homme qui aurait balthus_20Golden_20Days_201944l'impression de ne se tromper jamais se tromperait toujours. C'est finalement le statut même de l'erreur qui s'en trouve changé : non plus une distraction de l'esprit (le savant n'est pas un comptable qui aligne les chiffres) mais une erreur normale, positive – une erreur utile. On comprend mieux pourquoi Bachelard rappelle en dernière page le conseil de Rudyard ­Kipling : « Si tu peux voir s'écrouler soudain ­l'ouvrage de ta vie, et te remettre au travail, si tu peux souffrir, lutter, mourir sans murmurer, tu seras un homme, mon fils. » Un scientifique, c'est sûr.

Deux notions-clés

Obstacle épistémologique
Élément constitutif de la connaissance scientifique duquel il faut triompher pour qu'il y ait progrès (l'opinion commune, l'obstacle verbal…). Il s'agit à la fois d'une entrave et d'un moteur.

Psychanalyse de l'esprit scientifique

Déconstruction des valeurs et projections inconscientes entravant la connaissance.

Publicité
Commentaires
LA COLLINE AUX CIGALES
  • Dépotoir et déposoir de mots, de pensées... Ici repose mon inspiration et mon imaginaire ; une sorte de maïeutique effrénée et dubitative et il me plait de pouvoir partager à qui veut bien.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 207 338
LA COLLINE AUX CIGALES
Publicité