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LA COLLINE AUX CIGALES
11 janvier 2009

PH002 - Corps ou âme ?

29

Tout être vivant est, par définition, animé par un principe de vie. Mais la faculté intellectuelle (le Noùs chez Platon) propre à l’âme humaine le distingue des autres espèces vivantes. Selon Platon dans le Phèdre, « l’âme est principe de mouvement » et le mouvement est la vie. Pour bien des gens, cependant, l'âme est la partie immatérielle ou spirituelle de l'être humain, qui survît à la mort du corps physique. Pour d'autres, il s'agit du principe de la vie. La vie est le mouvement par soi donc l'âme est le principe de la vie qui est la cause du mouvement. L'origine du mot le rappelle, en latin, anima de la famille d' animatus (animé) et en grec, psyché est de la famille du verbe psycho, je respire. L'âme est comme le souffle vital qui meut le corps. Ainsi l'âme est en relation immédiate avec un corps ; sa fonction même est d'être la source de vie d'un corps. Cependant, une âme ne peut se concevoir aussi sans son corrélatif, le corps qu'elle vivifie.

    L’âme a une vie indépendante de celle du corps : c’est le dualisme entre l’âme et le corps. A son origine, ces thèmes sont communs aux anciennes religions de l'Orient et de l'Occident. On les retrouve dans la religion orphique qui développe à partir du VIe siècle avant notre ère, en Grèce et en Italie du Sud, une spéculation fondée sur le mythe anthropogénique des Titans : les premiers hommes sont nés des cendres de ceux-ci que Zeus avait foudroyés pour avoir dévoré Dionysos. Car une âme insuffisamment purifiée se voit contrainte d'entrer de nouveau dans un corps. Si par dualisme on entend toute doctrine qui dans quelque domaine que ce soit admet deux principes hétérogènes et irréductibles l'un à l'autre, il y a assurément un dualisme platonicien. La dualité de l'âme et du corps se laisse aisément déduire de la définition de la mort proposée par Socrate dans le Phédon : « Est-ce autre chose que la séparation de l'âme d'avec le corps ? ». C’est-à-dire une distinction entre deux substances, capables comme telles d'exister chacune séparément de l'autre. L’âme et le corps sont en opposition, voire opposés, pour ne pas dire ennemis. « L'âme ne raisonne jamais mieux que quand rien ne la trouble, ni l'ouïe, ni la vue, ni la douleur, ni quelque plaisir, mais qu'au contraire elle s'isole le plus complètement en elle-même, en envoyant promener le corps et qu'elle rompt, autant qu'elle peut, tout commerce et tout contact avec lui pour essayer de saisir le réel » Platon, le Phédon. C'est alors l'âme qui fait savoir au corps, et sans ménagements, balthus1que c'est elle qui commande. Si l'on ajoute à cela que l'âme apparaît dans le Phèdre comme ce qui communique au corps le mouvement qu'elle se donne à elle-même, elle serait donc le moteur de toute vie intelligente.

La tripartition de l'âme selon Platon concerne moins sa véritable nature, qui ne saurait admettre la diversité, que son histoire, c'est-à-dire sa déchéance présente, résultat de son union avec le corps : c'est dégradée et défigurée qu'elle se montre à nous. Ainsi, « ce que nous avons dit de l'âme est vrai par rapport à son état présent », mais ne nous fait pas connaître sa vraie nature.

    L’âme est comme le divin au mortel, au composé, au corruptible ; son immortalité apparaît ainsi liée à sa divinité. L'âme est principe, puisqu'on appelle animés les corps qui ont un principe interne de mouvement et âme ce principe ; étant principe (de son propre mouvement et de celui des autres) elle est inengendrée, car le principe c'est ce qui est premier. L'âme ne peut donc naître ni périr, elle n'appartient pas au monde de la génération et de la corruption : elle est immortelle. Celle-ci n'est pas une survie, mais une indifférence à la vie comme à la mort. Tant qu'elle se nourrit de l'aliment qui lui convient, elle est légère, elle est "ailée" c'est-à-dire dotée d'une énergie ascensionnelle. Elle élève l’homme. « Quand à la montée dans la région supérieure et à la contemplation de ses objets, si tu la considères comme l’ascension de l’âme vers un lieu intelligible, tu ne te tromperas pas sur ma pensée, puisque aussi bien tu désires la connaître. », nous dit Platon dans La République, lorsqu’on aborde l’allégorie faîte dans le mythe de la Caverne. Ainsi chargée de toutes les vertus, l’âme est alors la face cachée de l’être ; elle devient le moteur de l’action humaine, la capacité à faire le bien et le mal. Le concept d’âme, tacitement associé à celui d’immortalité, reste, selon les modernes, imputé à Platon. Pour l'âme donc, son incorporation est une incarcération qui appelle une délivrance, son incarnation est un exil du fond duquel elle réclame le retour à sa source. Son salut reposerait sur une réminiscence. Il faut donc qu'elle se souvienne, il faut que par un acte réflexif elle se connaisse elle-même et découvre ainsi, en même temps que sa nature, sa véritable origine : il faut que par l'exercice dialectique elle remonte à cette origine qui est aussi le principe de tout ce qui est intelligible. En un mot il faut qu'elle philosophe. Est-il possible de concevoir l’âme comme principe de vie sans balthus_20Golden_20Days_201944pour autant l’associer au dualisme de l’âme et du corps ?

    Dans une perspective d’unité de l'âme et du corps, l'âme serait créée en même temps que le corps : elle ne lui préexiste pas, il n'y a donc pas de raison qu'elle subsiste au-delà de lui. Elle est l' « animation » de ce corps, mais l'âme et le corps ne sont pas, eux, ontologiquement différents l'un de l'autre. C'est « l'être vivant tout entier » et plus particulièrement la totalité humaine. Quant au mot hébreu "Nephesh" (en grec, l'âme), il ne désigne pas non plus une substance immatérielle distincte de "corps" : à l'origine, c'est l'organe de la respiration. Dans l'hylémorphisme aristotélicien, l'une comme l'autre désignent l'homme entier. Le dualisme le sera explicite dans le concept aristotélicien. Il voit bien que l'union de l'âme et du corps ne peut être qu'un rapport de convenance.

    Il est au contraire manifeste que chaque corps dispose d'une information ou d'une animation qui lui est appropriée ; c'est donc « à bon droit » que des penseurs ont estimé que l'âme ne peut être ni sans un corps ni un corps : car elle n'est pas un corps, mais quelque chose du corps. Et c'est pourquoi elle est dans un corps, et dans un corps d'une nature déterminée. C'est vrai à plus forte raison dans la génération naturelle où la matière est indissociable de la forme : « dans les choses artificielles nous faisons la matière en vue de l'oeuvre, dans les choses naturelles, elle préexiste », disait Copernic.

Tel est le rapport de la forme à la matière, tel est celui de l'âme au corps puisque l'âme est « la forme d'un corps naturel ayant la vie en puissance » dixit Aristote dans De l’âme. Le mot « corps » désigne ici la matière organisée par l'âme et qui ne devient un corps qu'en vertu de cette organisation : le corps est formé par l'âme qui l'informe, en tant qu'elle l'informe et aussi longtemps qu'elle l'informe. C'est pourquoi le corps n'est pas toute matière, mais cette matière seulement qui est informée par l'âme. Descartes désigne la glande pinéale comme le « siège » de l'âme. Pour justifier cette hypothèse, il se basait sur le fait que la glande pinéale aurait été l'unique organe de la tête à n'être pas conjugué, c'est-à-dire ne se présentant pas sous une forme de paire d'organes symétriques situés de part et d'autre du plan sagittal. La mort du corps fait que la corporéité cesse aussitôt, comme si celui-ci pouvait survivre à celle-là, et leur disparition est simultanée. L'âme est l'acte d'une puissance ; mais sans acte, une puissance n'est rien. Elle est l’acte premier de la puissance qu'elle réalise. La solidarité de l'âme et du corps, leur contemporanéité est donc absolue et se fonde sur leur identité substantielle. Un corps n'est ainsi un corps que s'il est animé, et le corps animé « c'est l'âme elle-même en tant qu'elle informe une matière ». Il n'y a donc pas de problème des rapports de l'âme et du corps si par âme on entend la forme du corps, c'est-à-dire ce qui l'anime, ce qui l'organise, ce qui est le principe de sa vie.

balthus_derniere_oeuvre_1200423649L'âme est le principe de la vie et « la vie se manifeste surtout par la connaissance et par le mouvement ». Autrement dit l'âme est ce qui rend un être matériel capable d'opérations autres que les opérations strictement matérielles. L’âme est le corps unitaires sont donc d’une forme unique.

    L’âme comme principe de vie se vérifie à la fois par le dualisme de l’âme et du corps : ce dernier, par action extérieure de l’âme se trouve parcouru par un souffle de vie qui le transcende et lui permet d’exister. Cette union qui donne la vie au corps prend un terme au moment de la mort. Toutefois, il est aussi possible de concevoir que la relation intrinsèque de l’âme et du corps soit principe de vie : l’âme gouverne le corps, elle est une matière qui est vie car elle met le corps en mouvement. Il est probable que les progrès dans le domaine des neuro-sciences affineront la complexe relation entre un principe de vie qui nous anime et le corps qu’elle occupe.

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Commentaires
B
Je ne suis pas sûr qu’il s’agisse d’une articulation. Il s’agissait juste pour moi ici de différencier les deux grands concepts qui entourent ce mystère, à savoir : ceux qui pensent que l’âme et le corps sont deux éléments distincts et ceux qui croient que corps et âme sont une unité indissociable. Pour le reste chacun doit à l’évidence se faire une idée des différences qu’il y a à parler d’âme, de conscience et de soliloques introspectifs. Le sujet est vaste, donc.
S
Je ne voyais pas l'âme ainsi articulée ! <br /> <br /> J'ai tendance à voir dans l'âme l'essence de l'être ,c'est ce qui l'élève et c'est ce qui guide sa conscience ...<br /> <br /> J'en apprends !
B
"Mais si vraiment l'existence précède l'essence, l'homme est responsable de ce qu'il est."<br /> Jean-Paul Sartre - L'existentialisme est un humanisme.
L
"L'esprit n'est pas ce qui descend dans mon corps mais ce qui en émerge "Merleau Ponty
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