T626 - La serrure est vide.
Le désarroi qu’il me faut davantage de moi pour m’accéder à la juste mesure de ce que je me consens, grève considérablement mes pourparlers à me disculper. Les tiraillements des sens et de l’esprit ne supportent plus leurs dénis, chacun accusant l’autre d’enfreindre son rôle. Je m’étais pourtant défait de l’idée qu’il eut fallu un équilibre d’à propos, une harmonie plus ou moins quiète conspuant toute anarchie. Mais la nature déborde toujours les résolutions de l’esprit lorsqu’ils contrecarrent ce qui nous est dévolue par notre centre de gravité.
Je me refuse tant à l’existence. A croire que la réalité n’est pas faite pour moi, je m’obstine à me refuser celle qui est mienne dans mes yeux. Je me redoute de mes incapacités, toutes celles cachées et que pourtant je sais parce que je les sens. Je me dépossède si volontiers des mérites que j’aurais pu me concéder à reconnaître de ce que je suis fait. Il y a dans cette façon de se comporter l’affirmation d’une infériorité que je me refuse. Y consentir serait ma perte, je ne peux m’ôter cette pensée disgracieuse et cependant fondée de préjugés accablants. On ne préjuge bien que ce que l’on a acquis et moi, je me réfère à ce qui est de la valeur morale consentie. Je me leurre avec tant de dextérité qu’une aiguille n’y retrouverait pas sa pendule. La dégradation s’immisce doucement mais aussi sûrement qu’un poison effroyable contre lequel aucun antidote n’existe. Je me heurte à moi-même par principe. Je me cogne à mes parois dans le vide de mes inconsistances à m’approuver. Je me cherche dans le vivant que je fuis, m’écartant de tous les possibles épanouissements.
La clef des plaintes tourne dans mes chairs, dans la langueur de mon sang tiède qui grince de ses gémissements. Que fais-je donc sur cette terre à ne tournoyer qu’autour de moi-même ? Ne suis-je que l’heure qui avance ?
J’ai pourtant appris qu’aucune liberté ne m’était plus acquise que celle que je m’autorisais. Mais je feins de résister à la vie qui m’ébranle pour ne résister qu’à mon propre sort. Un tour de passe-passe qui ne consent à rien, si ce n’est à l’idée que je me fais de cet autre homme que je devrais être. Fuyant toute responsabilité de celui que j’occupe. L’écoeurement de n’habiter qu’un ruisseau sans eau. Je ne reconnais plus mes jardins à force d’avoir fouler d’autres rives et la part de moi-même qui m’est inconnue le reste malgré mes pitoyables acharnements à l’écouter ruisseler aux abords de mes frontières. Il est terrible le mot lorsqu’il parle d’amour au bord du gouffre. Les ravins étouffent les bruits des chutes. J’entends encore si bien la voix douce de ma mère me lire les Contemplations avant que je ne m’endorme, à l’âge où l’on contemple volontiers les histoires des autres. Cruelle vanité des désordres qui jouxtent l’enfance et dont la mémoire se borne à ne renvoyer que l’écho des précipices. Aujourd’hui tous les visages se mélanges et se cumulent en un masque qui n’habite que les apories des souffles qui s’étouffent. Je suis aveugle de mes beuglements dont je tapisse mes ombres et tout au fond de la nuit j’entends les ricanements des Satanas de passage. Le pneuma défectueux, ma cire se brûle sans que le cierge ne se rétrécisse. J’ai tant bu aux regards des ombres que le moindre éclat de rire briserait définitivement la lumière de l’infinitésimale lueur qui grogne encore un peu du tréfonds de mes pensées.
Je suis un enfant perdu au cœur du monde des grandes personnes et je ne trouve plus la main rassurante qui me conduisait à l’école dans le brouillard du petit matin. Je ne réponds que de mes yeux effrayés des distances qui me séparent de mon immédiat. Ne grandit-on jamais ?