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LA COLLINE AUX CIGALES
7 septembre 2008

L’ignorance – Milan KUNDERA

« Disons que la vie humaine est longue de quatre-vingts ans. C’est à peu prés pour cette durée que chacun imagine et organise sa vie. Ce que je viens de dire, tout le monde le sait mais on se rend rarement compte que le nombre d’années qui nous est imparti n’est pas une simple donnée quantitative, une caractéristique extérieure (comme la longueur du nez ou la couleur des yeux), mais qu’il fait partie de la définition de l’homme. Celui qui pourrait vivre, dans toute sa force, deux fois plus longtemps, donc, disons, cent soixante ans, n’appartiendrait pas à la même espèce que nous. Rien ne serait plus pareil dans sa vie, ni l’amour, ni les ambitions, ni les sentiments, ni la nostalgie, rien. Si un émigré, après vingt ans vécus à l’étranger, revenait au pays natal avec encore cent ans de vie devant lui, il n’éprouverait guère l’émotion d’un Grand Retour, probablement que pour lui cela ne serait pas du tout un retour, seulement l’un des nombreux détours sur le long parcours de son existence.

Car la notion même de patrie, dans le sens noble et sentimental de ce mot, est liée à la relative brièveté de notre vie qui nous procure trop peu de temps pour que nous nous attachions à un autre pays, à d’autres pays, à d’autres langues.

Les rapports érotiques peuvent remplir toute la vie adulte. Mais si cette vie était beaucoup plus longue, la lassitude n’étoufferait-elle pas la capacité d’excitation longtemps avant que les forces physiques ne déclinent ? Car il y a une énorme différence entre le premier, le dixième, le centième, le millième ou le dix millième coit. Où se trouve la frontière derrière laquelle la répétition deviendra stéréotypée, sinon comique, voire impossible ? Et cette limitez franchie, que deviendra la relation amoureuse entre un home et une femme ? Disparaîtra-t-elle ? Ou, au contraire, les amants tiendront-ils la phase sexuelle de leur vie pour la préhistoire barbare d’un vrai amour ? Répondre à ces questions est aussi facile que d’imaginer la psychologie des habitants d’une planète inconnue.

La notion d’amour (de grand amour, d’amour unique) est née elle aussi, probablement, des limites étroites du temps qui nous est donné. Si ce temps était sans limites, Josef serait-il à ce point attaché à sa femme défunte ? Nous qui devons mourir si tôt, nous n’en savons rien. »

                                                                                                              – édit. Folio, P.139

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