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LA COLLINE AUX CIGALES
28 mars 2008

0208 - LA PLAINTE

Peinture_20Sophie_20BRY_la_20raison_9546

Mon bel ami d’un mot passant, reprenons la discussion, si tu veux bien. De l’équivoque et sa perdition, aux purges et transgressions irrémédiables, nous n’avons pas encore abordé le sujet de la plainte et il me faut te raconter.

A mon sens, elle est comme un souffle, une longue expiration, lente, très lente, interminable, rabougrie, parcheminée et poussiéreuse à l'infini. Elle est ce vieillard de trop longues années silencieuses. Plus d'air dans les poumons, plus de vie, plus de force, épuisé, les bras, les mains évanouies, lasse, désabusées. Sa tête cabocheuse fatiguée s'affaisse sur le coussin de l’inaccessible. Là où ton âme se languit, et où ton esprit s'accroche, résiste. Parce qu’il en veut encore, juste encore un peu.

Cette réminiscence capricieuse bave depuis si longtemps sans colmater ta gémissure.

Lorsqu’elle t’entreprend, la cadence du jeu de rôle intérieur s’active. Et, tu n’es pas prêt lorsqu’elle arrive. On n’est jamais prêt pour elle. Elle est soudaine.

Inavisé et sans en connaître ses cascades et ses tourbillons, tu es l’acteur impromptu confondu à ton âme en rébellion. Tu ne t’appartiens plus autant que tu ne maîtrises plus.

Vaincu de sentiments et de tourments anciens et accumulés au travers de ce qui t’apparaît comme tes siècles caduques d’existence glauqueuse, la bataille s'annonce en sonnant l'olifant.

Elle vient à toi comme une implosion de mort pour laisser naître. Elle vient à toi de sa dualité insoutenable et frustrante, par l’habitude du renoncement. Le renoncement de l’habitude, avec chagrin pour seul lieu d’être. Révolte d’une perdition incommensurable. Celle de ne plus pouvoir, n’en plus finir. Rivée qu’elle fut d’un passé lactaire aux creux du ventre maternel.

Vouloir est un verbe si dérisoire quelquefois.

Un cri de bête jaillit de tes entrailles. Le premier sanglot étouffé d'abord, se fait plus virulent, plus énergique, à la riposte. Le souffle devient court, haletant, impatient.

La vie revient, effrontée, malgré elle. La vie nargue, elle semble désarticuler ton corps tout entier le réduisant à l'état de pantin fatigué, usé. Ton cou, ta nuque se redressent encore, ultime soubresaut puis retombent une nouvelle fois, anéantis. Le sanglot dans la gorge, haletant, est irrépressible sans existence propre, un gémissement se libère et devient autonome, devient catacombe, devient sentence. L'air se raréfie, la douleur incurable dans l'instant, s'impose, inévitable, impérieuse, elle soulage. Elle est le baume qui s'immisce dans le subtil interstice là juste là où l'âme et l'esprit tendent à se rejoindre. Ta bouche s'entrouvre… Invisibles à l'observateur, tes yeux et ton nez pleurent de concert. En toi, le pantin pathétique est pris de tressaillements, il lutte, se rebelle, il dénonce cette union. Tes genoux se lèvent puis se déplient, vaincus. Tes pieds abandonnent leur position initiale, bien sages les voilà qui s'agitent eux aussi. Spontanément ils se dissocient, divorcent des conventions. L'un repose à droite mollement, l'autre s'affaisse à gauche. La marionnette est à l'agonie.

Photo_20atelier_2012Tout d'un coup, alors que le corps s'abandonne à sa défaite, le discret larmoiement se transforme, se déploie, se déverse et déborde en fleuve de larmes torrentielles grosses et grasses. Etouffement, compression du désir de vivre. Le barrage se fissure en milliers de rides qui tout à l'heure te feront céder. Le mur en béton du barrage finit par rompre, l’eau se livre comme une turbulence pour nettoyer la terre de ses évidences. Un ravage momentané qui vient déraciner jusqu’à tes plus profondes apnées. Le tremblement est si obscur et si intense que tes propres racines se crispent, se rigidifient se contractent. A tel point que quelques-unes lâchent et cèdent aussi pour se laisser glisser hors de toi.

La bataille est finie. Maintenant ce sont tes mots qui s'entrechoquent, inaudibles des murmures de craies qui se cognent sur tes parois encore trempes de cette tornade. Qu'importe les hoquets vengeurs ! Il te faut acquiescer l’ersatz.

La parole envahie ta souffrance, tes regrets, tes oublis. Tes cris d'injustice, de frustrations la mettent à bas. De grands râles profonds naissent soudainement par surprise. Ton esprit est pris de court, ta chair, ton corps se sont révoltés ; fiancés indisciplinés et rebelles. Mariés à l'âme, l'être en épousailles révèle en toi ce que nul mot n'est capable d'exprimer. La torturante mise au monde suggère un chagrin d'amour, un chagrin d'enfant, un chagrin de roses et d’épines. Peut être.

Cela semble venir de si loin. D’une planète lointaine, inaccessible, éteinte. Peut être.

La plainte est là, mûre comme un fruit rouge, elle se gonfle de son propre sang, plantureuse, arrogante, elle s'épanouit, se laisse aller à sa victoire. Elle vibre ciselée, aigue, dessinée dans le détail, chaude et mouvante comme une sculpture de Rodin. Adulte, ondulante de ses formes généreuses, elle est prête à être recueillie, prise. L'orgasme est consommé. La plainte est là qui frémit, revisitée, éternelle. Tu la sais. Tu l'entends.pipeuse

Voilà bel ami, la plainte n’est point une estocade coutumière. Ses piques et ses flèches n’empoissonnent pas. Elle est cette autre forme de révolte qu’il te faudra assimiler, intégrer à tes faits et à tes gestes. Mais bien que je t’en trace un portrait, tu le sais désormais, elle est soudaine et imprévue. Elle t’assignera à son bon vouloir et t’obligera à t’exulter tel qu’elle te trouvera. Je la crois impérieuse et souveraine, il t’est donc inutile de la combattre au-delà de tes mesures. Saches seulement faire qu’elle te ressemble et te rassemble sans te dissimuler. Inutile de tricher la plainte qui se joue de toi, elle est solidaire de tes oublis.

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Commentaires
L
"la troisieme soit une sainte<br /> sur le calvaire il la perdit<br /> c'est elle qui poussa sa plainte<br /> puisque les hommes n'ont rien dit"
S
Un très beau texte...
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