Nous sommes deux bouches sur le même visage.
Le temps s’est désaccordé, il longe la muraille de l’éternité. J’entends l’écho de ta voix sur le versant qui me fait face. Retentit encore à mes oreilles, l’interjection gouleyante qui faisait briller tes yeux plus que d’ordinaire : « Vamos a la playa… el sol, el mar, et nous ! ». Quelques bribes de sourire s’épellent, les yeux brûlants comme des chandelles de Noël, et puis nos mains entrelacées sont devenues les véritables chaînes de nos cœurs.
Notre course inachevée ressemble à l’écriture qui vient raconter. Tous les mots transportent des paraboles, des synonymes et des métaphores que la raison orchestre au-dessus des marais. Chacun chante un espoir, une lueur tombée dans le grand trou de la tendresse intemporelle. La mort est devenue vivante. L’infini scrute les joies que nous avons traversées. Nos corps décrispés de toutes attaches font la girouette. Nos langues flottent dans l’arome inconnu du silence. Nous filons dans la pensée comme des neiges brûlantes vont rejoindre la pluie et l’orage où se détend la crispation du vide. Nos chairs sont dépucelées du futur, elles sont l’air dans lequel nous sommes restés suspendus. Nous sommes devenus l’aiguille arrêtée de la pendule.
Nous restons amarrés à l’infini, refusant de briser l’étendue qui nous entoure. Sur le tableau d’Adam et Eve, le fruit ne pourrit pas, il est mûr pour le temps à être, le temps à venir. C’est une farce, c’est un quiproquo de la matière et de l’espace. Nous sommes deux bouches sur le même visage. Nos cœurs courent les vagues et le radeau est insubmersible.
Le soleil n’a pas de goût, il plonge dans nos veines comme une baleine à la recherche d’un lieu de reproduction. Nous sommes les dauphins désespérés à la sortie d’une tempête. Nos vies et nos morts n’ont jamais connu la dichotomie des raisons ordonnées. Ce qui un temps a été en nous le demeure irrémédiablement pour toujours. Nous dormons dans le vertige des heures qui se mélangent au sentiment de l’éternité.
Rappelle-toi, nous ne sommes partis de rien. Nous avons dépassé le tamis des meurtrières, nous avons frotté nos âmes à la rapine du désir. Quelque chose s’est installé qui n’est pas nous et qui l’est néanmoins. Nous appartenons davantage à l’air qui passe qu’à nos propres cicatrices. Fussent-elles la somme de nos regrets.
- Bruno Odile - Tous droits réservés ©