Mon cœur est le seul moteur.
Je t’écris encore un peu, avant l’effacement, avant que ne reviennent le mur et la pierre et cette ravine incessante où s’écoule la poussière. Tu n’as plus vraiment de place dans ma mémoire, tu es entre mes lèvres et tu siffles comme le vent lorsqu’il passe entre les pins. Je le conçois parfois, mais jamais je ne parviens à l’envelopper tout entier dans le sac hermétique des souvenirs accablés.
À l'ombre des oliviers, nos mains se sont croisées comme des parfums évanescents. Goulottes d’eau et d’air, trames et nœuds soufflés laissent place à ce que je suis. Que deviendrait ma vérité un seul de ces effleurements soudain ne mentait pas ?
Je dois admettre que chaque vérité sur laquelle s’appuie ma conscience en découvre souvent une autre qui lui est supérieure, mais qui m’échappe. Mes interrogations et ma vigilance quasi permanentes sont sans doute l’antidote à l’insécurité provoquée par le doute qui poursuit mes réflexions. Au-delà de moi-même, l’instinct avec lequel j’appréhende le monde qui m’environne choisit des chemins dans lesquels, de raison, je ne me serais pas forcément engagé.
La perte d’un être cher disproportionne la solitude de la même manière que la peur augmente l’attention. Mon cœur est le seul moteur qui persiste à grimper alors que tout s’écroule. Ce qui me porte à dire que mes réactions d’être humain sont souvent en contradiction avec mes sentiments et mes pensées.
Que veux dire vivre face à mon désert intime et à la solitude sans nom ? Engendrer des rêves pour combler le néant qui m’effleure ? Je piétine sans cesse devant moi et autour de moi. L’espoir qui pourrait venir est une insertion, une ingérence qui avive l’inachèvement. Son immensité muette est une gerbe ouverte à la lumière comme un précipice sans fond. L’haleine imprégnée du sel de nos voltiges témoigne de mes terres gorgées de marais opaques. Des larmes d’encre s’enfoncent dans la marge et dans les rives les plus reculées. Doucement, je rédige cette plage d'eau et de sable qui précède les mots, qui devance la mer et les vagues. Ma vie est au ralenti et mon cerveau s’emballe. Je t'écris.
- Bruno Odile - Tous droits réservés ©