Tout de toi est invisible.
J’ai traversé la montagne pour connaître ta plaine. Un voyage imaginaire sous les eaux tropicales. J’ai bu à la roche une saignée de poésie. Une fente dans l’édredon de la tendresse, une commissure crispée, un rire déjuté de sa joie première. Et puis tes lèvres comme un bateau où flotte l’éternité. Et puis le brouillard où se cache le sel des lumières veuves.
Regarde, la lavande coincée sous la roche se souvient de nos jeux et de nos rires. Nous étions si jeunes lorsque nous franchissions le pont de Beaucaire alors que le Mistral faisait trembler les voitures qui le traversaient. Nous nous tenions serrés, les mains agrippées à la rambarde. On aurait pu tout aussi bien s’envoler dans le Rhône comme ces nombreuses caravanes que nous avions vues tomber dans l’eau furieuse. Mais notre prise à la rampe était aussi forte que notre désir de traverser. Et, nous trouvions le courage dans nos empoignades communes.
La lavande, cette plante emblématique, nous en connaissions le parfum enivrant qui embaumait toutes les cabanes que nous construisions. On en fabriquait même des couronnes lorsqu’on jouait à César dans une bataille romaine sanglante. Tu étais chef de cohorte et nos copains et moi te suivions partout comme de fidèles soldats.
Je ne sais plus traduire le goût de tes lèvres. Cela m’obligerait à tordre le verbe pour définir pleinement la joie profonde qui monte d’on ne sait où. Elle provient sans doute de cet ailleurs qui nous hisse comme des cordes tendues sur le lit de l’obscur. Le verbe se meut dans la discrétion, il creuse inlassablement le même sillon et s’affûte à la lime des heures de silex. Ici, une touche, juste une vibration indicible, un souffle de trois fois rien. Tout de toi est invisible. Tu es dans l’éclair, dans la futaille rageuse des pensées glauques et dans la pluie fine des sourires qui se moquent des apparences. Transparente, l’onde légère accompagne le ruisseau de mon cœur et partout se dessine ton visage à mille reliefs et à mille refrains. Ta voix danse à l’intérieur de ma peau et les déguisements dont je m’affuble défilent tous seuls dans les veines du temps.
- Bruno Odile - Tous droits réservés ©