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LA COLLINE AUX CIGALES
14 novembre 2013

8 - Dans les veines du questionnement.

 

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Pourquoi tant d'espoirs neufs gravés sur des braises nouvelles ? J’aborde l’irréparable : qui défendrait une terre infertile ? J’ai à cœur une plume fiévreuse et l’écriture consigne le témoignage intérieur de cette désespérance inoculée à mon sang. Quelque chose de tragique dispose l’horizon à l’envers, à rebrousse poil. La lune, à quatre pattes, pédale sur des lignes inconnues. Le ciel est à mes pieds et je m’embourbe dans une étrange lande d’apesanteur. Les flammes, hors de leur corset, atteignent la mer défigurée et aveuglée. Mon corps est l’auxiliaire de mes abandons. J’écris et j’accouche les mots avec le zèle d’une utopie ressourcée aux lueurs de mes réticences. 

J’exclue de l’instant toutes probabilités d’ingérences. Pourtant, mes incapacités trouent les cloisons des certitudes que je croyais imperméables. Discrètes, elles s’immiscent dans ma chair comme un virus alerte. Hier encore, sûr de ma force et persuadé que les promesses de l’existence coulaient d’une source intarissable, j’osais défier la beauté de l’aurore pétillante. A présent, je ne suis plus assuré de la vie qui m’accueille. Je n’ai plus l’audace qui prémunie de l’effondrement soudain. Je sors, peu à peu, de l’illusion du présent. J’entrebâille l’expérience qui me devance et je ne suis plus que la réplique du jour. Désinstruis, j’accuse le pressentiment qui inaugure la vitalité ensevelie. Toutes les garanties que j’avais acquises, ressemblent désormais à la prothèse sur laquelle repose l’édifice brinquebalant de mes espérances.    

Laissez-moi seul avec mes soucis, mes palabres et ma folie. Vos regards dilapident mon énergie. Laissez-moi seul avec ma vie décousue. Je ne parle pas, je ne triche pas. Je frotte un silex dans la neige vierge. Le silence qui m’accompagne affirme plus de vérité que toutes les raisons réunies. Dans mon refuge, la vie, l’amour et déluge ne sont qu’une seule et même réalité. Otez vos yeux, ils m’interpellent et je n’ai rien à leur répondre. Levez le dôme épuisant des arrangements et des consentis. Laissez courir le vent dans les haies de cyprès. Des cerfs-volants s’épuisent à danser sous les nuages. Je n’ai plus l’âge des injonctions juvéniles. Je cris à la nuit le peu d’étincelles qui guettent la fugue où s’envole l’arbitraire relent de l’auréole terrée dans l’ombre. Je me disperse pour mieux me perdre. La réalité ne poursuit qu’elle-même et je lui échappe, parfois. La voix qui me quitte ne m’appartient plus. Rien ne peut aguerrir l’impermanence. Tout fluctue à vive allure. Pourrais-je m’aimer dans la survie de mes ombres ? Au-delà d’une résurrection de la conscience ?

Ce matin, endolori par les méfaits carnassiers d’une nuit sans sommeil, je rassemble le peu de compétence qu’il me reste. J’envisage d’apprivoiser lentement le jour qui commence à poindre. Tout entier, j’habite le choc vécu, la perturbation à son plus haut degré de voltige. De minuscules étincelles de vie haussent le ton et s’emparent de l’attente. Tous les projets se taisent et la tragédie rebondit sur la précarité de mon existence. Aveugle de mon destin, la virulente secousse vibre encore dans mes veines. Elle révèle mon présent figé et démoli. Le questionnement m’ouvre à l’ignorance de ma condition. L’idée de conformité, de ressembler pour ressembler tue la singularité qui émancipe. Me voilà, aux abords de la différence. Je ne joue pas pour gagner mais pour réussir. La transformation brutale de mon corps défie les lois préétablies. J’ai l’impression que mon cœur se retrouve à la table d’une mauvaise roulette russe. J’ai l’ambition présente d’exister dans la durée. Est-ce l’innocence qui maintient illusoirement l’idée de permanence ?

Tout ce qui s’éloigne m’appartient. Toutes mes caves sont remplies de souvenirs. La douleur est en feu, c’est un halogène illuminant les bas fonds abandonnés au triste sort de l’oubli. Mes tempes battent la chamade, tout l’inconsidéré remonte à la surface comme d’apaises nappes grumelées de carburant. Ce qui hier n’a pas brûlé peut à tout moment s’enflammer. Parmi les amas de sciures demeure la pureté inexploitée d’un azur bleu où l’océan se reflète. Des pans entiers de noirceurs s’approchent inexorablement de la perte. Qu’ai-je donc laissé à quai lors de l’événement tranchant et fulgurant ? Comment aborde-t-on la rencontre avec la déficience ? Tout mon être vacille et je perds connaissance. Je m’évanouis comme une pomme trop mûre tombe de l’arbre. Je chute dans la fraction, Bacchus se dérobe dans le noir brouillon de mes rêves. L’iris trempé des mes yeux atones cogne aux pauvres terres incultivables, le morcellement trouble l’eau de cendre qui boue dans un chaudron percé. Longtemps après l’ellipse, l’atlante* descellé contemple l’ablation de mes membres. Je pince l’heure qui balbutie quelques couleurs frigides et j’avale l’orgone* irritée. * Atlante : Statue d'homme, servant de support à un ouvrage d'architecture tel que balcon, corniche, entablement, tribune. * Orgone : L'orgone est un terme inventé par le psychiatre et psychanalyste Wilhelm Reich pour désigner une forme hypothétique d'« énergie » dont il affirmait avoir établi l’existence.

J’irréalise le combat de la matière, mon corps n’a pas à devenir. Il est ma terminaison et n’abdique pas à la soumission qui le réduit. Il est l’objet et la fusée qui me permet d’atteindre les espaces sans équivoque. J’esquive la porte qui s’ouvre, je ne suis pas prêt à quitter le tableau que je peins depuis ma naissance. Mon âme est funambule. Je ne dors pourtant pas pour atteindre les ténèbres. Je suis en veille à l’intérieur d’une zone de temporisation. La hargne terrible éprouvée à l’encontre des faits annonce une indifférence momentanée. L’esprit paralysé ne cogite plus, il défend ses frontières. L’incandescence et le vertige comprimé, je ne peux malgré tout marcher sur le sol qui me portait. Accomplir, sans préalablement défaire les nœuds qui m’emprisonnent serait valider le manque.

L’échec n’a pas de route, il vagabonde dans l’immense détresse. La course de l’estime de soi affirme son énoncé : renoncer ou poursuivre. L’orchestre des insuffisances secoue les limons fermentés du désespoir. Il n’est pas de souffles assez puissants pour attiser les braises repues de mal êtres indolents. Je maudis l’heure blafarde des défaites de l’extase. Une pierre trop lourde chute au fond du marais. Un temps prisonnière de l’eau, l’écume se déploie sur l’horizon fébrile. L’oracle se meurt dans les mains des prouesses désertées. Mes pensées bannissent le supplice, mais le néant me condamne à l’immensité. Des fleurs et des herbes fraîches s’alignent sur les contours d’une tombe inoccupée. J’existe en-dehors de l’exploit, riche de mes perditions. Mon cœur parle à haute voix malgré les cyclones titanesques qui mastiquent l’air comme une vitre. Mes faiblesses sont des points de départs où rien ne s’arrête. Chaque émotion ressentie transfère la présence d’un corps émietté vers une sentence apocalyptique. Chaque départ accentue la désertion, ma chair en exil croasse comme une lune buveuse d’étoiles. La vie me débite en parcelles d’illusions, je tangue d’un sommet à la grotte enfouie comme une hirondelle dont les ailes ont cessé de battre. Le destin par son message coupant tranche la promenade de la candeur.

Noyée dans des paysages impossibles, ma raison plie comme un désir qui vacille. Je voudrais bien écourter l’ombre tenace des varices déconcertées. Je me dilate d’un bourrelet à l’autre et mes boursouflures respirent le curare. Le réel comateux disproportionne le feu que la terre cache dans ses entrailles. Je n’ai plus faim, je n’ai plus soif. Je surfe parmi les densités amarrées au calme plat. Une mélodie s’est tarie instantanément. La peau du jour réinvente le naufrage et l’échouage. Elle habite la tempête et tout ce qui ne tremble plus est mort. L'affaiblissement de ma personne tangue au cœur des incertaines promesses de liberté.   

Il est difficile de se convaincre de la beauté et de la douceur du monde lorsqu’on échoue parmi les jardins cruels où les roses ne sont qu’épines et tiges étêtées. Une douleur latente perturbe les grandes images entières que le soleil illumine de ses rondes. Je me souviens des foudres intempestives grisant les interstices flamboyant de l’autoportrait de Van Gogh. Les couleurs se sont transformées en supplices insupportables. J’ai un calot sur la tête et un bandage blanc sur ma jambe amputée. 

Mes désirs, à l’étuve de l’attente, contorsionnent toutes tentatives d’apaisement. Les déchirures internes ne parviennent pas à se soulager. Grabataire dans la discorde des sens, je marche sur la tête. La déroute est trompeuse. Je divague de blessure en blessure, j’embrasse le beau pour dissiper mes craintes. Qui oserait se suspendre aux étoiles pour rouvrir la perspective de l’inconnu ? L’hormone de la joie est déviée de sa route. L’incurable rébellion de la survie cherche à faire table rase, mais le corps infirme plonge dans la disette et l’enfermement. Une part d'imaginaire impliquée en chacun de mes actes influence mon comportement. Je porte l’handicap comme un délit. Je suis envahi d’amertume comme une planète insalubre. 

Ma vie défaite des anses du présent rejaillit en liberté. Elle poursuit sa danse floconneuse au cœur du monde plein d’angoisse où les heures vagabondes décripsent les roseaux immobiles bordant le chemin. Je m’allaite à la surabondance du sang qui n’a pas prévu la larme des orties, ni la bouilloire au coin du feu. Je pars bâtir ma hutte de glaise au-delà des fiévreuses ritournelles de l’horizon qui boite. Là-bas, midi chante le repas des abeilles et le bourdon s’avachit sur les foins séchés. Là-bas, j’aurai un peu de paix pour couturer la route des os éparpillés. 

Je suis voilé par le destin que la larme dénonce. Je sème le vide avec des lames acérées. Je convoite à l’embrouille du théâtre d’ombre, la lueur déchirée qui occupe le visage des fleurs. Je ne peux céder sans lutter. Des rêves langoureux enflamment le noir qui charge la rosée. Ma réalité est hantée d’innombrables danaïdes. Le temps oublie les chagrins turbulents, mais, inaltérable, il ne renonce jamais à se rétrécir et à s’étendre. Il différencie la semence de la récolte et nous offre la déconvenue de l’infini. Maintenant que la terre me mange et me gratte, les doigts de mère Nature dissipent les nuées tourbillonnantes. Je ne trouve nul repos dans le baiser de la compassion. J’aimerai tenir dans le regard des autres comme l’arpent d’un poème surréaliste redresse la réalité de sa perte.

Ivre de servitude l’allégresse s’incruste dans des yeux évasifs. C’est parce que la lune est différente du soleil qu’elle éveille ma curiosité. 

Qui me voit encore dans le jardin aux hautes herbes ? Qui s’approche sans la gène de la hachure spectrale sur le bout de la langue ? Je marchais sur une terre ferme, me voilà englué dans la mouvance des marais sombres. Une corde se balance au-dessus du jour rayé comme un pull-over marin. Des algues danseuses retiennent l’ancre nue accrochée aux gargarismes des morales impudiques. J’avale autant que je recrache. Le sel s’ajoute à la robe blanche recouvrant l’émotion. L’alizée murmure quelques paroles écorchées et le mur du son me retourne l’écho d’un ciel en gestation. Je joue à l’amiral Larima. Je joue et je perds-gagne par-dessus les craintes intolérables et les aboiements burlesques du schisme qui m’anéanti. 

Le virtuel possède quelque chose de vertueux. Une terre promise ouvre une voie dans la mer tendre de l’indulgence. Je suis une papillote gorgée d’amandes réduites en poudre grossière. Je suis métissé de grâce et de cohortes boiteuses. Mon esprit se perd dans les labyrinthes des mythes dissous. Je suis l’édenté des sourires joyeux. Je porte la croix de l’enfer sur les épaules du jour serti des diamants de la décadence. Je broute au bonheur orgueilleux des maîtres du monde. Ma salive est un ru d’étincelles dans le canopée des rêves endormis. Tous mes espoirs perdus souillent le miroir où résonne mon cœur dévitalisé.

Les liens ne nécessitent pas toujours l’ardeur volontaire de la matière. Pourquoi être là plutôt qu’ailleurs ? Sans doute une brève escapade de la synchronicité, une connotation de la chair restée à vif. Une échappée virtuelle vaut une pensée. La douleur de ne pas vivre reste chevillée à une dépression aérienne. Comment exister dans ce monde d'ombres ? 

Le handicap n’est pas le prélude de la mort, à peine lui baise-t-il les joues. Victime consentante, je vire de bord. J’entérine l’oppression et je fais une obole consentante à la légitimité de mon identité. Charité bien ordonnée commence par soi-même. L’énergie miraculeuse de la lumière consulte l’appauvrissement de mon corps et désigne l’autonomie qui succède à la tranchée. L’individu serait nié au profit de sa pathologie, que je parviendrais malgré tout à m’évader de la marge. Se considérer à l’écart ou bien dans la distance n’exclut en rien la contagieuse proximité du vivant. Le sursaut aux lèvres du temps divisé parcourt d’un va-et-vient incessant le cortège fidèle des émotions. « Vivre, c'est s'obstiner à achever un souvenir.*», nous dit René Char. (* Extrait de : Fureur et mystère.) 

 

Extrait de : La main dans le Chapeau. - Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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Commentaires
V
J'ai toujours lu entre vos lignes et votre filtre n'était que papier calque.<br /> <br /> Quand vous avez mené le combat du retour à la vie j'étais peut-être parallèlement à provoquer un départ pour ne pas ranimer le feu.<br /> <br /> C'est cet écho les mots qui luttent contre le temps tout contre la vie….<br /> <br /> Bien à vous B.
V
Pourquoi tant d'espoirs neufs gravés sur des braises nouvelles parce qu'on s'obstine à rallumer le feu des souvenirs malgré ce qu'en dit René Char.<br /> <br /> J'en profite pour corriger"c'est moi qui le dis"…<br /> <br /> Bien à vous ironie et partage. je suis toujours fidèle et passe en toute discrétion chez vous.
V
C'est sûr que c'est moi qui le dit avec obstination <br /> <br /> Bien à vous
V
"Vivre, c'est s'obstiner à achever un souvenir.* facile à dire cela l'est moins à faire…<br /> <br /> Bien à vous
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