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LA COLLINE AUX CIGALES
31 octobre 2013

La désaffection de toute métaphysique.

 

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Je suis cette boite à os qui donne corps à mon esprit, ce métronome tout entier organisé pour vivre l’expérience. Je suis cet amas de chair pleinement dans la pulsion libérée de l’écho de résonance au monde. Je sonde la nuit, mais que reste-t-il de moi à l’extérieur, sur ma peau ?

Chaque jour, je retourne en moi-même endurer les contours d’une apparence défectueuse. Je m’immerge totalement et j’entends battre mon cœur tout au fond des voies brisées. La recherche du meilleur ne peut se faire dans les profondeurs de soi, elle a besoin d’air et de lumière. C’est associé à mon intimité biologique qu’il m’arrive encore d’effleurer la beauté précédemment entrevue dans les fibres de mon existence. Dans un état gazeux, j’appréhende mes semblables avec la conviction que leurs regards définissent l’enveloppe me tenant lieu de refuge. Le corps est mon siège d’évidences matérielles, c’est un contact direct avec le vivant qui m’entoure.  

Il suffit parfois d’une étincelle dans le vide pour qu’apparaisse la terre ferme. Chaque horizon prélude une aventure ouverte. La ligne horizontale n’est qu’une frontière visuelle, un lieu en porte-à-faux. Plus loin, ou plus près, des signes incohérents de prime abord tracent la courte échelle pour le regard curieux. Mon corps est un cri, un témoignage sensible resté à vif.

Dans un corps à corps effréné, je poursuis les idées qui me propulsent hors de moi-même. Mon squelette m’engage à la conquête de ce qui m’est propre. Il est le Je à faire, la représentation de l’acte et de l’élan. Je me lève et c’est tout mon esprit qui est debout. L’esprit le suit ou le précède, c’est selon. Je m’efface pour renaître, j’écris. L’énigme est au cœur de moi-même, je ne cesse de me découvrir. Je vais là-bas, et c’est moi qui marche. Je suis ici, et je ne sais qui est là. Je me reconstitue d’une seule teneur seulement lorsque je fais. Au repos, je suis partout et nulle part.

Ce que j’ai perdu, d’autres l’utilisent pour construire ou démolir. Ce que j’ai acquis repose en grande partie sur le manque. Ce qui a disparu est devenu une hypothèse, un postulat pour ce qui demeure. Toi, tu vas et tu viens au gré de tes humeurs. Moi, j’anticipe par la pensée le parcours le plus acceptable. Tous deux, nous allons, mais le rythme diffère. 

On ne classe pas en opposant. On différencie pour compléter. Ainsi, la logique n’est plus dans l’opposition des différences mais dans la faculté d’ajout et de complémentarité permettant l’amélioration. La dualité qui n’exprime pas une gratitude à la connaissance de soi est vile et stérile. Le corps ne se limite pas à penser, il a besoin de faire. Je suis converti, corrigé, remanié par la rencontre intérieure. 

Aucun rêve ne parvient à l’unité perdue. Le sommeil berce les ruisseaux issus de l’averse, il nous invite à laver nos graviers compactés. Il filtre les silences consumés.

L’unique nécessité du temps matériel se résume dans la vie d’une parole qui essuie les voix. Les ombres se disputent l’âcreté des ravines mystérieuses. Parfois, elles ne font aucune différence avec la noirceur des grottes que la nature porte en son berceau. Entier ou découpé, je suis moi jusqu’au bout des ongles. Je me dilue dans le bras mort des solitudes sans échos. 

La parole du membre perdu ne se retrouve pas. La chair opacifiée occupe pleinement le regard troublé par l’asphyxie du manque. L’exclusion réserve sa bonté à la création du vide. La beauté d’un corps mutilé ne saute pas aux yeux, j’en conviens. Mais, le rayonnement de la vie qui jaillit malgré le rabot de son expression peut nous laisser bouche bée. L’amour s’offusque d’abord. Pourquoi lui ? Pourquoi dois-je vivre cette perte, ce dysfonctionnement, moi aussi ? Tiendrais-je dans mes bras ce volume nouveau en me référant toujours à celui que j’ai connu précédemment ? Le cœur n’est pas rancunier, il préfère se saborder plutôt que d’initier un rejet qui lui serait fatal. Personne ne peut voir le monde seulement à partir des ténèbres. Le silence dans sa transparence grenue est une chute fondamentale. 

Toute ma vie est un chantier. Mes fondations ont nécessité l’accouchement d’une vérité plus haute et plus inconcevable que le simple hasard des rencontres. Les murs bâtis sont perpétuellement menacés par l’absence de clarté. Mon sang circule à l’aveugle dans un va-et-vient continu qui pétrifie la robe rouge recouvrant l’arc-en-ciel fluidifié. Portes ouvertes ad vitam æternam, les clé du logis n’existe pas. Le jour et la nuit pénètrent sans discontinuité les fibres de l’heure flottante. Amant de la lune, mes yeux ne touchent plus sa circonférence. Mon corps renonce à la parodie d’une entité multiple, et cependant, les vents tourbillonnent partout où ils pénètrent. C’est la pagaille rangée à l’intérieur de ma penderie à sentiments.   

Est-ce bien moi dans le miroir ? Je ne peux bien voir que les paupières closes. Un instant, j’oublie la hache que le jour serre entre ses dents. Mon âme nue rompt les anses de l’agitation. Simple galet de poussière lumineuse, je gaze comme un volcan au cœur de la pudeur. Où sont donc passées les primevères qui bordaient le sentier des joies diffuses ? J’ai perdu les râteaux pour lisser la terre. 

Ce que j’entends vivre du monde est toujours si proche que la réalité m’assaille. Le devenir me projette à mille et une nuits de la floraison naturelle. Je m’associe pourtant à l’heure qui tombe mais jamais l’aveu des jours qui passent ne me déchaîne de l’ombre de moi-même. Nostalgie du corps du premier instant, des hirondelles jazzent dans le vent. La fratrie des os revendique le chant des ombres tassées. Je remue au plus profond de moi comme une source sous l’écorce du temps. Je m’accole au visible que l’œil saisit et nul miracle n’embrouille ma peau dans la cannelure des fumées recomposant l’écrin de la lumière. Démantibulé, l’ivraie des heures pleines crache son venin purulent sur la moelle d’une jambe flottante. Ma main gauche a mordu la ferraille. Elle rouille avec les sempiternelles statues de marbre. L’orage colérique décharge ses lames et s’abat sur les grappes qui attendaient le pressoir. 

Comment reprendre place dans une vie à la lisière des saignées ? L’espace s’alanguit et je m’endors dans un feu en rémission. Algorithmes, je vous ferai entrer par la porte de derrière, d’une tombe à l’autre, les souterrains sont foison. J’habite l’arbre solitaire où les grillons de la tristesse se rangent en silence dans les veines gorgées de sève brunes. Enfant, mes rêves étaient des aubes fleurissantes. A présent, ils occultent la serrure de mes sens. Tout refuse de vieillir, tout clôt la mémoire frémissante avec un bouchon de liège. Je trébuche sur des lieux abandonnés. J’habite l’effraction ahurissante de la force vive déchiquetée. Sans la lame du temps perdu, probablement, je connaîtrais le risque et l’audace sur le bout de la langue.  

La paix approximative, il n’y a que cela. Un lieu inviolable d'immobilité, un paravent devant le désordre, toute une vie d’impatience, il n’y a qu’une course éperdue, un passage d’un monde à l’autre, une torture pour les actes immobiles. Un sentiment glauque étrangle d’un spasme la densité poignante de l’étincelle qui nous relie à la lumière. Sans l’espoir de redevenir entier, ma présence dissèque toute la confusion qui résulte du mariage de la matière. Je flotte dans les postillons répandus d’un miroir ancien. Je dérive comme une image fond sous la langue du vent. Dans la lucarne du monde, la farce ubuesque se désintègre. Pas moi. Il pleut des clous dans le silence d’un cœur échoué sur la rive boiteuse. Cahin-caha, des rêves meurtriers ravagent les nuits défaites de leurs porteurs. Une simple pensée tendre s’enroue sur les meules aux paroles supérieures. Les mots grincent et menacent la poussière avant de s’évanouir dans le vide.

Il faut que l’amour soit une campagne verte, un verger sans équivoque. Qu’il défroque l’ultime compassion des cellules mères. Que tout ce qui est gravé soit le filament pour la force du désir à comparaître face à soi-même. Des pommiers en fleurs broutent l’air qui dissipe les parfums. J’ai quitté la braise où je suis né. Un lit de lavande sèche absorbe le cri de la terre assoiffée. Copeaux de terre dans la bouche et dans les yeux, je tiens le jour sur la pointe de mes lèvres. Il faut que l’amour affermisse la volonté d’accomplir la marche quelle que soit la main sous le chapeau. Le hasard aux angles saillants ouvre la voie aux racines qui sortent de terre. Les suspensions se dénouent et le goût acide du ressac écoeure jusqu’aux ruines de la douleur. Des corps étrangers à l’intérieur des statues de marbre répandent le poison du sommeil définitif. De grâce, mourir s’il le faut, mais pas sans avoir aimer plus que de raison. Pas non plus, dans la répétition écervelée d’un mouvement restitué à l’imposture du vivre.   

Peu à peu, je deviens ce que je suis supposé être : un peu d’épices dans la grande marmite du temps. Sur le miroir cassé, traîne une béance silencieuse de part et d’autre du corps. Moi et moi, nous partageons les pentes du coteau avec la cascade brune des bulles qui s’évanouissent. Dans un roulis de circonstance, nos corps de fumée s’échangent leurs doutes et leurs regrets. Même muette, l’indifférence tue. La désaffection de toute métaphysique incise l’aveugle océan du temps. Des paroles s’échappent des pores en murmurant des soupirs d’indulgence. Il y a toi, dans la draille volcanique de mes parois de chair et de sang, et puis, toi, rendu à l’air sur les arpents tranchés par le regard anonyme.

 

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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Commentaires
I
Encore un beau texte, vous abordez d'autres sujets que celui développé précédemment avec la même incision juste. "La paix approximative"... superbe ! Et si fondamentalement exact.
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