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LA COLLINE AUX CIGALES
29 octobre 2013

Un lieu de transhumance.

-IV -

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Sur du papier millimétré, une esquisse folle sort du cadre. Dessins hors du champ, des visages fuient et glissent de l’autre côté de l’air. Personne n’est pareil. Des millions de fourmis revendiquent leur différence sans laquelle l’unité de la fourmilière serait compromise. Dans le miroir tout se ressemble. Image sans queue ni tête, l’approximation minimalise la rationalité. Des larves et des lémures frétillent dans un monde chaotique. Je veux du vent dans mes yeux, de la tempête sous mes chaussures. L’univers dans sa configuration infinie rappelle à l’ordre les filets de la conscience. Il me manque une main pour effacer les griefs. Il me manque une vie pour déraciner la mienne. Foutaise de l’espace, je suis réduit comme un crâne asséché. L’ombre ne peut pas cacher l’intime rapport que l’on entretient avec soi-même. Les autres nous reflètent toujours une part ensevelie. Paroles amphibiques, ma voix porte plus loin que l’orage. Des gouttes de musiques éclairent un sentier au cœur de la forêt. Avant, se dressait la cacophonie des heures de turbulence. Avant, les comptes n’étaient pas associés, les rires et les joies dépendaient du bouleversement consenti aux ricochets de la lumière. Aujourd’hui, les yeux rivés au soleil, j’avance aveugle de la clarté qui m’éblouit. Un rond chaud me conduit. 

Je n’avais pas compris l’audace qui circule dans les veines du jour. Je n’imaginais pas le silence comme la portée des musiques installées dans ma chair. Le choc est un réveil, un éveil à la pureté des ondes qui nous effleurent inlassablement. Estourbi, estourbi, estourbi. Une voix assoiffée d’air traverse mon corps. Un fleuve invisible recompose le nid où repose l’apparence qui me servait de costume. La mort m’a touché avec ses cloches de marbre, j’ai tout de suite su qu’il ne fallait pas s’attarder. L’illusion ne fabrique plus aucun rêve au-delà. Goût du vide ou sentences morales, qu’importe. J’ai fui comme l’ignorant s’évade de la prison qui lui tenait lieu de demeure. Toute la nuit, j’ai scié les barreaux de titane pour me retrouver à l’aube dans la chambre d’autres tourments. Sortir, oui ! Mais pour aller où ?

A mon plus jeune âge déjà, une puissance irrésistible drainait les sources diaboliques qui me traversaient. Démoniaques par leur asservissement et infernales par leurs flux puissants. 

Tempêtes et tourbillons déplacent la matière. L’énergie pure ne peut pas se sacrifier au seuil des portes qu’elle n’a pas encore ouvertes. Si l’on ne sait pas où l’on va, on ne peut savoir d’où l’on vient. Peut-être, parce qu’on ne cesse d’aller et venir, on n’occupe plus vraiment l’espace de nos pieds mais le long chemin des routes d’étoiles.

L’existence toute entière est une charge d’émotion tenue à bout de bras. C’est un lieu de délivrance par lequel chacun s’accomplit parmi les périples du quotidien. Il faut réapprendre à se défaire de la colère qui empoissonne le corps et l’esprit. Le pardon n’est pas un sacrifice, il est le symbole révocatoire d’une souffrance. Lorsque la nature est contrariée, elle s’efforce à redéployer une harmonie avec le reste de l’univers. Elle ne pleure pas sur son sort, ne se lamente pas. Elle dirige son élan pour reconquérir la lumière qui délaisse. Et, si elle n’y parvient pas, elle raréfie ses actes pour préserver l’étincelle de vie qui joue aux ombres mouvantes au fin fond de l’humanité. S’il ne nous détruit pas, chaque choc nous épure. Chaque chemin tortueux réclame un effort. Je suis tout à la fois, un être de fiction sur l’étendoir de mes rêves et une masse de hasard patibulaire accomplissant sa destiné.

Je me suis vu sur le pinacle de l’horreur. L’espace se cabrait et l’air marchait sur des échasses. Des flaques et des vallons encerclaient mon cœur.

La quête de l’énergie pure demeure sous les paupières closes. L’instant de joie se sauve dans l’asile du rêve. Mains et poings liés, l’azur s’arrête à l’enveloppe charnelle qui nous habille. Le poids d’une illusion lorsqu’elle s’avère insurmontable et indispensable pèse aussi lourd que la charrue métallique que l’on emploie pour labourer une terre dont les mailles sont restées trop longtemps refermées.

Des mottes paraissant incassables cachent l’étendue possible à la conquête. L’âme foulée, les chevilles du jour sont rivées sur le miroir des pacotilles. Il me reste la poussière d’ivresse recouvrant la vie partagée. Mon dictionnaire des langues ne traduit pas la puissance du mot lors de l’échange. Inlassablement, le silence qui nous suit déborde toutes les convenances. La parole est l’acte supérieur du geste. Elle plante le décors sans autres mouvements que le souffle de la pensée. L’acte dérobé tient en haleine l’architecture de mes os. L’esprit qui ne souffle mot est un esprit mort. Sur l’autre versant, la chute irrémédiable de l’ordre établi. Tout s’élève puis sature et régresse. Tout est relié de façon invisible. Il n’y a pas de différence entre une tasse à café et un verre de café. Le contenant accepte le contenu. 

L’accident, c’est le jour improbable qui devient une certitude pour la chair. Un corps amoindri sait la carence. Le cerveau continue cependant à courtiser la part manquante. Longtemps des membres fantômes ont baigné dans le sang qui me parcourt, véhiculant l’illusion jusqu’aux racines de mon être. Se défaire de soi nécessite la juste reconnaissance de l’impossible et de l’irréalisable. J’ai tenu entre mes mains le halo de conscience qui fait chavirer le monde à l’intérieur de la mémoire cellulaire. Un autre moi est venu à ma rencontre. 

Je suis comme mort. Il y a une arnaque dans mes entrailles. Ma main gauche touche mon front du bout des doigts. Je marche sur l’ombre déformée d’une silhouette debout. J’irai à cloche-pied s’il le faut, partout où mon chemin deviendra une marelle. Enfant, je courai déjà dans le champ où des cheveux d’ange s’envolaient à chaque pas.

Demeure la structure et reste le cadre. Le contenant donne forme au contenu. Exilé dans un monde clos, l’avenir meurt de ses non-projets. La fatalité commence où le hasard cesse d’être inopportun. La dualité qui précède la parole universelle ne fait qu’amplifier la solitude. Que peut-on créer d’autre que la création elle-même ? L’art sous toutes ses formes ouvre les voies instinctives de nos décadences et de nos fulgurantes manifestations à survivre malgré la somme de vulnérabilités qui nous étouffe.

Je vais à moi comme l’eau des montagnes remplit d’abord les ruisseaux, puis les fleuves et enfin les océans. Je coule du haut vers le bas. J’observe la boucle infinie par laquelle l’orage et le froid précipitent la pluie sur les sommets. Je flotte au-dessus d’un cercle intouchable et je tournoie autour de la sincérité de chaque chose.  

Dans les plis de ma bouche s’amalgament les ficelles d’autres paroles. Le nœud des prières non exaucées tangue au fond de ma gorge. Je voudrais être un mille pattes dans l’oreille du soleil. Je voudrais courir à perdre l’haleine, je voudrais serrer dans mes mains l’oracle des bonnes aventures.

Impossible, impossible. Je suis incapable, je me sens minable. Je ne peux plus réciter, je suis affable. Je ne peux plus m’habiller, ni découper mon steak, ni te suivre partout où se couchent les lavandes. Impossible, c’est impossible. Ma flamme est sans jambe, j’ai le col plein de miettes et je marche à côté de la plaque. Que me reste-t-il ?

L’accident, cet imprévu, a grignoté l’espace déterminé. Quelque chose s’est dérobée. La connaissance que j’avais de moi jusqu’à lors cède la place à la reconnaissance.A présent, une dissonance ordonne les mailles du filet qui me maintenait dans la proximité de la norme. J’appréhende les lignes du compas traçant les cercles de la représentation commune à chaque individu. Les ronds d’air se chahutent et sont dans la discorde. Nantis, je l’étais précédemment par volontarisme, aujourd’hui, je le suis de fait. Mes proches et mes amis refusent de tenir compte de la différence notable de mon aspect physique. Ils témoignenttousme voir inchangé, et réfutent mon handicap. « Je te vois comme tout le monde, j’oublie très vite que tu es sur un fauteuil. » me disent-ils. Il n’en est rien, et je dois m’accoutumer à la peur que je suscite chez eux. Je sais, qu’inconsciemment, leur gentillesse cache l’image de la mort et de la décrépitude, mais cela devient une barrière à la réalité et mon intimité s’en offusque. 

Tout au bout de ma plume, un oiseau plane au-dessus du vertige. Ma lecture du monde se fait à partir d’un lieu de transhumance. Je quitte une lune pour accéder à un astéroïde, je balance dans l’espace intersidéral sans besogne attachée au cou. Je n’habite plus nulle part autrement que par intermittence. Ma langue naturelle parle du feu et de la mémoire de la cire. J’ai d’abord cru que j’étais un cintre suspendu aux étoiles, puis je me suis rendu compte que la penderie que j’occupais était une infime particule dans tout l’univers. Tout ce qui dépasse mon entendement me renchéri de ce que je crois savoir.

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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Commentaires
S
Il te reste cet immense talent d'écrivain..Est ce une sorte de thérapie que tu entreprends en nous livrant cette intimité que nous ignorions ?..j'aime toujours autant le texte.
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