L’ignorance est un avortement sans douleur.
Ce qui me guide vers toi est une énigme. Ta voix mourante hante de toutes parts mon être. Sans doute, ton départ a bâti à l’intérieur de ma chair un château et ses remparts. Une île perdue où s’empilent les fleurs et les regrets. Et, seul en mon royaume, je me meurs dans le bruissement de la phrase muette. L’isolement provoque l’étêtement de mes sens exaltés. Le passé est derrière cette porte fermée à double tour et cependant il la transperce de son éclat lumineux. Une porte est immobile. Le souvenir ne l’est pas. C’est la décrue.
Les sentiments que la raison accable ne peuvent pas se justifier. L’amour est le reflet de notre instinct avant d’être une panoplie de douceurs. Que pourrais-je savoir d’autre de cette imposture qui provoque mon affection sans relâche ? L’ignorance est un avortement sans douleur. Elle comble abondamment mes incompétences et m’offre une fuite acceptable pour la raison. Elle est de la même texture que l’air. Je respire des milliers de microbes et tous ne se développent pas dans mon corps. Je ne suis pas inquiet de ce que je ne sais pas. Mes défenses naturelles s’adaptent à leur environnement. Bien sûr, je n’échappe pas aux infections mais lorsqu’elles m’agressent, c’est tout mon esprit entouré de chair qui s’active pour s’en débarrasser. Or, en ce qui te concerne, l’air est d’une autre nature. Il fait corps avec l’esprit qui te porte. Je t’ai dans la peau comme un fleuve d’étoiles illuminerait une piste d’atterrissage. Tu es devenue ce joli paravent qui protège et filtre le calcaire de l’eau afin qu’elle s’écoule, pétillante, comme la providence. Et puis, je ne peux m’incliner incessamment à la rigueur d’une raison trop castratrice. Ma rivière connaît déjà trop les galets qui occupent son lit.
- Bruno Odile - Tous droits réservés ©