Le fragile langage de l’eau et du sel.
Pourquoi avoir renoncé si jeune ? Quelle clairvoyance t’a ordonné la vigueur de ton acte ? Le suicide ne s’oppose à rien, il désarme. C’est une telle confusion dans mon esprit. Une telle défaite de la lumière. Je voudrais comprendre mais secrètement je m’offusque de toute explication. Le simple fait de t’avoir perdue révoque toutes les autres luttes. La nuit est dans sa corbeille, elle décalotte l’ombre accroupie derrière le mur du silence. Une musique dorée file entre les nuages que plus rien ne soutient. Quelle que soit la chose à voir, nos yeux sont nos seuls poumons. Ils filtrent la clarté dont chacun se nourrit. Tantôt, c’est l’étincellement. Tantôts aveuglés, nous marchons au bord du précipice.
Le désespoir qui sacrifie la raison pour accéder à la mort volontaire me laisse sans voix. Il y a quelque chose d’impénétrable dans cet espace d’exigence, dans cette attente de cohérence vitale. L’absolu fermente dans des lieux insondables. Et j’ignore les mécanismes de cet appel foudroyant.
Des années durant, condamné à vivre sans toi, j’ai été écartelé entre l’horreur de ta disparition et l’amour que j’accordais à la vie. Et je n’ai jamais compris ce qui pouvait me conduire à faire abstraction de mon sentiment au dépend d’un comportement raisonné.
Toute la beauté du déchirement résiderait-elle dans l’inaptitude que j’ai à mordre le ciel comme un océan s’y évanouit et trompe l’œil ?
Depuis que je te parle, j’énonce le fragile langage de l’eau et du sel. Depuis que ma voix ranime ton corps, la route tremble devant moi et le klaxon du temps s’est enrayé dans l’ombre restée intacte.
L’ignorance proclame en moi l’effacement. Elle irrigue le retrait. Elle me fait sentir la mort de si près que j’ai l’impression de dormir à ses côtés. Parallèlement, j’éprouve cette sensation paradoxale de reconnaître le silence de mes profondeurs et de n’être plus en mesure de ne réfléchir qu’à partir de cela.
- Bruno Odile -Tous droits réservés ©