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LA COLLINE AUX CIGALES
9 octobre 2013

A l’arrachement.

- I -

Diminué physiquement, les petits obstacles du quotidien deviennent vite des contraintes insurmontables. Le dépassement prend alors une figure migrante. L’asservissement de l’espace n’a plus l’impact autoritaire que je lui connaissais précédemment. Il n’y a pas cependant de véritables efforts à réapprendre les gestes de tous les jours, juste une gêne aléatoire alourdissant les actes. Une mutation pour la survie réapprivoise l’appétit à vivre. Les désagréments occultent un temps la perception des objets et des formes. Le corps mutilé réapprend un fonctionnement qui lui été acquis. Tout se réorganise dans l’échappée des jours à naître. L’autonomie cédée accentue l’incertitude qui navigue à fleur de pensée. Le corps appréhende une gestuelle qui lui est inconnue. Même l’acte usuel lui semble insurmontable. La patience devient alors une force tonique. Elle préserve l’acuité de l’observation et accorde aux désavantages du corps toute son attention. Le cheminement consiste toujours à basculer de l’attention à l’affection. Affecté, on l’est forcément. Le sentiment de restriction est affligeant. Mais, on ne recommence pas à vivre, on continue à s’adapter aux conditions nécessaires à tout épanouissement. Hier encore, je lâchais prise sur un événement qui venait contrarié ma progression. Enflammé et désappointé, je m’écriais : Mille millions de sabord ! Arriverais-je enfin à tenir correctement ma brosse à dent ?

Lorsqu’il ne vous reste qu’une jambe et une seule main alerte, chaque mouvement nécessite d’exceller vers la perfection de l’équilibre moteur. La mobilité du corps diminuée, j’entreprends une démarche épurée vers moi-même. Le problème n’est plus ce que je peux ou pas encore faire, mais avec quel état d’esprit je vais m’employer à coordonner mes capacités d’existence avec l’environnement d’une vie « normale » ?

Souvent, la vie nous affaiblit pour nous obliger au surpassement. Et je viens vers vous, regards de l’autre monde, avec l’intention d’ouvrir les portes et les fenêtres de la confidence.

- II - 

Personne n’a rien pris. Séparations des membres et des chairs. Aucun son pour rendre la voix perdue. Le pardon émancipé de la conjoncture ribaude avec les pluies de l’enfer.

La vie se maintient seule comme une délivrance esthétique sur un plâtre sans teneur.

0333487001202810439Lieux déserts à jamais, recomposés mille fois par l’ardeur du temps, le hasard batifole dans les murmures distendus de l’heure sournoise. Ma peau, mon corps, tous ces liens défaits de moi-même et retissés comme un panier de vieil osier. Je veux parler à la matière, à corps défendu, à langue remise dans son fourreau. Chaque soir, un peu d’ombres et de pelures s’en vont. Mon corps, dépossédé de lui-même, va et court sur le long manteau des cathédrales. La pierre a signé un pacte avec le temps qui passe. A perdre des bouts de soi, l’on croit trop souvent tout perdre. Mais, j’ai conservé dans mes valises l’odeur du sang et du printemps. Des papillons inondent l’espace où ma main se rouvre. 

Toutes les capacités perdues sont un handicap à la mémoire du corps. 

Je ne laboure plus les jours qui passent, je jachère, je dépose et j’entrepose derrière les lignes intemporelles du silence. Je cultive sans semence. Mes graines sont des résidus de vents et de marées. J’ai les mains soudées à l’égarement, j’attends le pain qui sort du four. J’attends l’imparfait silence qui sort des meurtrières de l’âme. Derrière les remparts, j’ouvre les yeux sur ma clairière aux joies abandonnées. J’ouvre mes bras à l’interstice de la patience et de l’exaltation. Je bêche l’instant qui nous maintient plus haut que les nuages, au-dessus des naufrages de l’artifice.

Lagune après lagune, ma langue renoue avec la lande défrichée. Le sable est doré et j’occupe le faisceau de lumière où l’on rejoint le passeur. Le guide est invisible pour les yeux. Trublion du manque et de la conquête, ma vie n’a appris qu’à dépasser et à surmonter. L’émotion muette fabrique des boucles de feu et je sommeille comme un faucon gerfaut givré à l’intérieur d’un iceberg à la dérive. Avant, mes jambes se croisaient. Avant l’heure était dite par un corps complet. Aujourd’hui, des bouts d’espace manquent, de la chair et de l’épaisseur s’absentent du navire et je rame d’un seul souffle. L’incapacité a corrigé les rues et les trottoirs, là où la dérision géométrique défie l’architecture du néant. J’ai connu les débuts du bitume morcelé, défait de repères, neuf d’une vie à réapprendre. Un pied après l’autre, nomade d’un bout à l’autre de mes ombres, je découvre l’immensité de mon propre visage, noyé dans les arêtes de l’obscure tisseuse d’avaries. Pâtisse des lèvres à l’usure des révoltes furieuses, une ligne fine de lin et d’aubépine répudie l’immobile gloriole de la parole. J’avale mes propres mots. Gondolier sans gondole, je marche sur l’eau qui inondait le sucre des jours. Diabétique de l’équivoque, la famélique orgie de mon sang m’exécute comme un intrus indigeste. Je pousse sur l’humeur du chagrin présomptueux. Je est tonique, je est indiscipliné. C’est le fourvoiement des étoiles dans les sources incontrôlées de la survivance. Je, se survit à lui-même en changeant de tête. La réalité prolifère aussi sûrement que l’illusion. Grand jeu de la farce aux miroirs incandescents, mes joies et mes peines se diluent dans l’haleine que j’impulse à la trompette de la mort. Terre rase, vertige soumis à l’attraction du vide, l’air chasse l’insoutenable terreur de l’apocalypse. Plus un terrier n’accède à la félicité. Il me faudra remonter à la surface des cœurs pour accéder à la prolifération du jus de vie encastré dans je ne sais quel ostracisme. Seule la flamme libère le jour qui pointe sa mine endormie sur l’horizon à construire.    

Cessez donc de jacasser mauvaise foi et imbroglios carnassiers de l’évidence. J’existe outre le fait, malgré lui et envers la raison décapitée par la tempête frigide qui révoque toutes les brûlures. L’énergie fusionnelle dératise l’esprit mécréant, addict à la consolation morale. De petits clapotis explosent le mur du son ; j’ai dans la peau le frémissement de l’onde sans écho. Larguez les amarres, il fait jour de l’autre côté du noir crachat des répulsions intimes. Le bonheur est toujours asservi par le dicta des croyances sans lendemain. Il n’a pas de corps et son esprit chancelle sur les flammes de bougies au fond des cathédrales de l’ignorance. La joie ne se sème pas, elle ne s’attend pas ; elle gribouille quelques sourires anodins sur les lèvres des papillons. Elle discrimine la fleur de l’immédiat qui caresse l’étamine du soleil. Je viens de tuer mon ciel et il me faut le repeindre aux couleurs filtrées par l’aube qui naît en moi. 

Je lapide et je dilapide, sans cesse. La soif ne s’écrit pas avec le sang de la mort. L’air n’a pas de veto. Je dégrise à l’orée de mes sens comme cette simple pomme qui n’a pas connu la terre du Calvados. Un chat dans mes gouttières cherche la lune réfléchissant son croissant immaculé. Coups de pattes et coups de griffes, les tuiles parlent la langue de la terre et la pluie arrose mon regard d’une multitude de gouttes aussi salées que l’océan de mes rêves.

Je ne sais pas encore ce qu’il faut faire. Mais, j’ai compris qu’il existe une forme invisible où se développe le fil conducteur de la satiété et de la sérénité. Il ne faut ni lutter à perte, ni renoncer à vide, juste accéder à l’effluve salutaire où le grain et la fleur se partagent la communion de l’existence.

Sextant à l’autre bout du monde, l’amour gravite autour des forêts, d’arbre en arbre, de fruit en parfum. L’image est un fardeau, elle déglutie l’abusive place qu’elle occupe dans le regard. Derrière la flamboyance, l’oecuménie du sang flotte entre l’éblouissement et la torture. Il n’existe pas d’accord prêt à l’emploi, l’amour ne se consomme pas. Il navigue, invisible d’un sanglot juteux jusqu’aux larmes du rire. Rien ne s’accorde par la pensée, immaîtrisable, il influe sur la route et courbe les branches comme une onde anonyme et sans visage.

La diversité ne cesse de s’exprimer. Ton cœur est le mien n’ont pas les mêmes ombres. Ta ressemblance est une forme capricieuse qui se déploie et joue sur les miroirs aux alouettes intrépides. La certitude est une vapeur d’eau infiltrant la chair repue, et non une consigne inébranlable. Différentes odeurs s’empilent avant de donner naissance à chaque parfum.

L’amour est une irruption, une secousse, une lave glissante de toutes parts sur les pentes qui rejoignent nos plaines. Partout où son jet s’est répandu, la terre s’est brûlée, la chair du monde n’est plus la même. Partout où le feu a connu son paroxysme, l’étendue est définitivement taguée par la cicatrice indélébile de la tendresse. La différence qui nous déchire n’est autre qu’une perception individuelle impossible à partager. Aller au-delà, nous fragmente et nous désuni. 

La diversité est un enjeu pour l’unité. Sans arbre, pas de forêts. Sans chair vivante, pas de pronostic possible sur l’idéal. Absolutistes invétérés, nos désirs crapotent et nos corps se décalottent. L’ardeur complice que nous portons au-dessus de nos cœurs enflamme notre quotidien en oubliant la prière qui les a fait naître. Mon corps n’a plus que des élans fantômes. Mais, je ne céderais pas aux tentations qui le démembrent autrement que par la convoitise de la beauté. Je veux parler de cette beauté intrinsèque qui rayonne dans notre sang avant qu’il ne connaisse la respiration. 

La rencontre édifiante s’insurge contre la monotonie du quotidien. Tu es autre et pourtant tellement le reflet de lumière auquel j’aspire. L’handicap de la langue et des mots est dépassé par l’hégémonie des sens. Tout tremble, dedans comme dehors. Ta différence est la chute inespérée où se rejoignent nos lignes d’eau et de cœur. Ce qui en apparence me manque, tu l’as ensemé dans le creux de ton ruisseau incolore.

La différence qui nous acclame est inséparable au mouvement qui nous regroupe. Voilà le blé et l’orge qui se congratulent, voici le baiser du silence au cœur de chaque parole. Je voudrais m’oublier dans le regard de l’autre, alors que c’est mon regard qui s’estompe, ma plaie qui s’efface pour n’être plus qu’un affaissement, un éboulis de charabias étourdis sur le bord des gencives du monde. 

Mes sens sont des fenêtres. Je ne te vois plus, je te sens et t’écoute. Ton parfum pénètre l’onde que je reçois. Une écume d’être se dépose sur le jour qui m’ensevelit. Quelque chose monte et descend dans la respiration sans que l’air ne soit un support. Le silence est sans limite comme l’unisson qui nous transporte par-delà les frontières de l’image. Je suis debout sur la pierre du panorama existentiel, une harmonie surprenante décèle le paradoxe des couleurs qui s’enchevêtrent à la lumière qui nous transperce.  

Tout de l’impossible tirade du monde amplifie ma solitude et mon cœur perd la tête à chaque rencontre avec la ressemblance. Ce n’est que face-à-face avec l’intrépide volcan de mes entrailles qu’il m’arrive de poser la lumière sur le lit de mes ombres.

Dans la disparité, la convergence des fuseaux d’ondes repose sur le croisement hasardeux de nos souffles.

Dans une attente intérieure hors du temps j’enroule ma vie aux secrets de ses contours, de ses lacets d’espérance et dans la paume du jour où la clarté d’aimer s’éveille.

Et sur ce chemin tavelé d’ignorances et de candeur sans voix, je trace avec mes frissons l’empreinte indélébile du temps qui s’échappe. 

La terreur de voir son corps mutilé est inexplicable. La matière croyait dormir dans l’épaisseur inerte de l’éternité. Soudain, un matin amputé de ses forges claires s’écarta des glissières du vide. Des lueurs atrophiées sur le bout des peaux recousues se promènent dans la transparence du givre. Des rondins d’ondes agglutinées sur le miroir, des épaves mornes et taciturnes glissent d’une rive à l’autre. Emporté par le reflet d’invisibles latences, l’horizon lointain se noie aux creux des hasards intrépides. 

Stoppé net par le choc et le fracas des os dans la marmite fissurée, un empire s’effondre dans l’enjambée aérienne où le grand écart défie la robustesse. La vie en gravats dans mon sang, l’urgence partout en flammes noires, je ne sais rien des encablures du réel. Je vrille et m’extirpe du chaudron où se prépare le bouillon des heures fracassées par le tourbillon du temps sans lendemain. Des odeurs anciennes reconduisent l’infini à la source de l’enfance. Une jambe en moins, j’ai mal au cœur. La nausée accuse la présence défunte. Ma poitrine gonfle comme une voile blanche traverse l’azur. Demain sera coupé du souffle premier. Je refuse de voir où les aiguilles sont assises sur cette chaise roulante. Ta main est sur mon cœur, elle m’a suivi au-delà de la tempête. Des rêves anciens, morts nés, discutent de la déficience en tout bien tout honneur.

Je suis replié au fond du sac comme des champignons après la cueillette. J’ai sur le visage la trace des deux roues qui me portent. Dans l’air de la nuit, je suis seul. J’habite la varice d’un conditionnel itinérant. Si ma sœur était là, la brume tisserait les lames de la lumière. Si, tu savais taguer l’empreinte du jour, les murs brilleraient comme des lunes évanescentes. Je migre vers la fureur concordante, je cris le silence qui m’estourbit. Dans la nuit paresseuse, j’ouvre le livre du noir pour y chercher l’étincelle. La mèche est courte et la volonté moribonde. La morale accourt dans ses habits de cendre. J’ai un cheveu sur la langue et des mots coiffés d’abstinence. Il faut être fort disait l’angélus. Tu dois garder la tête haute et le menton posé sur le soleil. Mais je n’ai pas la force de tenir debout sur la chute. Je resquille à l’absence la fleur de mon être, et, je veux la semer aux quatre vents. Le chant de mon squelette s’évapore en ondes muettes. J’ai conservé la clé des ombres. Je rumine des onces de labours anciens. Ma charrue n’a plus de soc, mes mains sont vides et je danse avec l’orage qui me dilue. 

Accablé comme l’étoile qui percute les frontières de l’infini, je file d’un monde à l’autre et d’un son aux cordes de la harpe. Ma vie, cette ficelle, est arqueboutée comme une sentence morte. J’ai choisi un soleil qui n’existe pas, un feu sans lumière où la vie se convertit en une épée lumineuse plantée dans la pâtée de ma chair à vif. Je ne m’explique pas le réel, je vampirise les goulées d’air qui me traversent. Une vision corrosive brouille mes pistes. J’avale les pentes et roule la neige pure comme un drap blanc s’évanouit à la surface de mes sommets. 

 

 

- Bruno Odile -Tous droits réservés ©

Déclaré à la SGDL sous le numéro 2013-10-0061   

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Commentaires
L
Oh, une dichotomie substantielle assurément ;)
L
... et dans la vie tu parles avec autant de passion qu'ici ? ;) ...<br /> <br /> C'est de la lave oui...
L
Confier sa vérité profonde à celui ou celle qui la comprend, l’entend et l’accueille, nous libère du poids ahurissant de la certitude rigidifiée. Le partage humain aide au détachement, il offre aux fardeaux solitaires de se défaire de l’emprise claustrophobe de l’ego. Il contribue à la reconnaissance de soi, à l’acceptation et au dévouement que l’on peut accorder au centre de gravité de chaque être. L’autre, c’est souvent celui qui nous permet de persister dans le rayonnement de la sollicitude. Pour peu que les ondes nous ramifient, il devient possible de traverser les contraintes du quotidien en s’envolant, légers comme une plume à la sortie d’un encrier.
U
Parfaitement d'accord avec tes mots : "la mémoire ne devrait pas avoir d'autre devoir que celui de s'effacer au profit du présent".<br /> <br /> <br /> <br /> Cette mémoire qui nous ensevelit sous le poids d'un passé que l'on souhaiterait parfois tellement oublier... ou ne pas avoir connu du tout.
I
Toujours ce bouillonnement si juste, si sensitif, ce tiraillement qui cherche sans cesse la note juste comme une corde vocale dépassant l'enrouement. Et toujours ce plaisir à vous lire.
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