Ce soir, mon cœur, nous ne dormirons pas.
Avec le silence à mes trousses, je me suis reconnu. Je suis une pierre d’embrun, je promène dans l’exil dégrafé aux lunes sans ciel. J’ai tout de suite admis que se déshabituer à vivre était une façon d’apprendre à se déshabiller de la part trop lourde qui navigue dans notre sang. Un jour de plus est un jour de trop. L’allègement en cours, il m’était redevenu possible de me réapproprier le sens d’une existence soumise au réel. J’accédais enfin à la perception par-delà l’unique raison qui nous régit à vouloir domestiquer notre nature. Je n’ai jamais connu d’heures plus noires que celles où l’on se confesse à l’intérieur de la pensée commune décrivant notre propension au mal.
Il faut croire en soi jusqu’à se défaire des chaînes invisibles qui nous réduisent aux combats inutiles de notre chair avec celles du monde.
Une démarcation nette s’opère derrière l’inaccessible marée où s’abattra le couperet du silence. Nous sommes nus comme des flammes. Nos corps ressemblent à des cires fondues et à des voix diluées du charbon de nos ventres.
La violence des souffles impétueux soude l’air avant que nous le respirions. L’unité invisible crisse sur la peau du jour comme un pinceau de gouache sèche.
Alchimie des fonds vaseux revenus à la surface. Ce qui ne peut pas être craché est régurgité. Flots de glaires tristes sur la façade de nos yeux. Nos âmes s’époumonent en d’autres lieux.
Là-bas, au loin, de petites morts sont dans la cabane qui prend feu. L’éternelle lueur dissonante de la lune plonge sous tes yeux. Puis, l’obésité du vide s’enflamme comme un gaz incandescent.
Ce soir, mon cœur, nous ne dormirons pas. Nous veillerons les cendres qui nous habitent. Le fond de l’air gicle l’imbuvable nausée des heures mortes. L’amour délaye puis s’étoffe comme une durite engorgée de soie. Reste avec moi, ma toute douce. Ne t’en vas pas.
- Bruno Odile -Tous droits réservés ©