Le recommencement.
« Trois allumettes une à une allumées dans la nuit,
La première pour voir ton visage tout entier, la seconde pour voir tes yeux, la dernière pour voir ta bouche,
Et l'obscurité tout entière pour me rappeler tout cela,
En te serrant dans mes bras. » - Jacques Prévert. Paris at Night.
Peut-on cesser d’aimer celui que l’on a aimé ? Trois allumettes… et puis, toi !
Quelque chose s’étend dans le verre avant de ressortir sur l’autre face. Une couche minorée, un grain de vie obséquieux, le mirage obsessionnel de l’air devenu résistance de la lumière. Toi et moi, nous avons bu l’eau et nous l’avons rendue au ciel. Mais plus loin, une terre m’a gardé dans le souffle de ta nuit. Les tableaux décharnés nous ont offert des voies souterraines pour le regard des passants. Des chemins sans escorte où le temps présent s’amoindrit. Des lunes désertiques où la pénombre s’ennuie. Des histoires oubliées greffées aux mouvements d’une aube cotonneuse. Tu vois, je marche au-dessous de mes yeux. L’amour pâture à l’extrémité du vent. L’intimité absolue plane sur les tombeaux froids du monde. C’est la grâce suprême qui s’envole, l’aura qui accompagne les songes brouillons. La beauté des gestes repliés dans le silence se pose sur les branches dépouillées où nul oiseau n’a laissé ses plumes. Les pierres se sont levées, le jour poursuit ses frasques. L’ombre collée à la nuit cherche une autre route.
Une odeur de pain grillé traverse le matin qui a faim. J’entends le bruit des portes qui s’ouvrent dans le couloir endormi. Des pas de chats sur le carrelage froid remuent l’air sclérosé. Nos visages sont des duvets qui portent la trace de l’oreiller. Nos yeux légèrement gonflés par le sommeil absorbent les dernières gouttes de la nuit. Nous sommes dans la cuisine. Indifférente à l’heure, la table reçoit nos corps encore habillés de rêves innocents. Je ne pense à rien, je reproduis des gestes cent fois répétés.
- Bruno Odile -Tous droits réservés ©