A lire, Blog chez Sophie
Je n’ai pas faim, je n’ai pas sommeil, je n’ai pas envie. Je suis un désert de soif ; je crains le cœur d’amertume qui apparaitra, lorsque toute la gangue des petits espoirs se sera brisée. Malgré tout, quelque graisse grise logeant toujours en mon crâne et me faisant penser, je me saisis de moi-même, et d’un récit de peau, je fais un récit de possible : je métaphorise, et mon esprit respire… Il danse, sur la corde aux mille comparaisons, cette pavane de plainte pour le cœur inquiet, suspendu au croc de quelque joie fugace.
Elégie modeste, mais bonne à percer la vérité : derrière les mots, une fois râclée, croit-on, jusqu’à la trace d’une métaphore, encore d’autres mots. Nous ne décrivons le réel que par son à-côté. Je voudrais trouver les mots premiers pour dire jusqu’aux atomes de mon désarroi, mais jamais ils n’ont brûlé aucune bouche. La pureté du langage n’existe pas. On ne peut faire autrement que métaphoriser, au cœur même de la conceptualisation savante ou de la description la plus sèche. Derrière un verbe même que l’on croirait primal, il n’y a que d’autres mots pour tenter de soulever le coin du voile de l’ontologie : le verbe être, ainsi expliquait Heidegger, provient d’une triple racine signifiant, selon les langues, vivre, croître, demeurer… Derrière la soie la plus fine, d’autres masques…
L'étymologie est la preuve de feu que nous ne commençons jamais, que le début fuit sans cesse à nos regards écarquillés sur nos tentatives de compréhension du monde et du phénomène humain. Le langage n'est que métaphore et métonymie. Il est donc poésie. Il est donc émotion. Qu’est-ce que la conscience, sinon le saisissement articulé de notre propre attente ? Une boucle de récursivité, ronde comme une bouche étonnée.
C'est image de notre destin. Nous ne nous souvenons pas de notre commencement, car notre mémoire, qui n’est que récit, n'est pas encore construite. C'est en entrant dans le langage que nous nous saisissons de nous-mêmes et de notre propre fin, puis que nous imaginons le monde mental de l’autre. Le langage ne décrit rien. Il est opinion, fabrique accélérée de sens. Sans le langage, le monde ne se connaît pas.
Et c’est donc secrète image du monde. Nous ne commençons pas parce que le monde n’a jamais commencé : quelque chose a toujours été, sans quoi même rien ne pourrait être. L’absence ne se définit qu’en contraposée à la présence. L’ontologie, pudique, rougit que le langage lui lève un peu ses dessous. Heidegger l’obscur s’étourdissait de sa propre langue, et faisait de la poésie en croyant défaire la métaphysique, comme si l’une n’était pas un autre mot pour l’autre.
Dans ma gorge, amis, roulent encore des rires, des larmes et des mots. Je pourrais jeter le rire, engloutir les larmes, mais je ne pourrais oublier les mots. Une statue de mots. Rien d'autre, peut-être, mais grâce à eux, toujours vivante.
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