Il nous manque l’heure atemporelle.
L’exubérance malicieuse du silence ponctue le fantôme qui s’est glissé dans la voix. Derrière la porte des perceptions, nos sourires allongés se relèvent la tête haute, le buste droit et nos litières anciennes deviennent des nids douillets pour de nouvelles naissances. Dans le secret du sucre se trouve la confiture fidèle que nos âmes tartinent. Nous émergeons dans la fêlure et je te ramasse dans l’attachement des mémoires comme un tout amputé de ses jambes.
L’espoir a été une civière, un brancard dérobé aux anges. La mort a dispersé toutes les étoiles dans son surmenage de vide. Elle a torturé le projet d’amour. Oui, c’est bien elle qui a désossé le durable, elle qui a persécuté le désir et l’a rendu caduque. L’unité précaire de nos corps et de nos esprits s’éparpille. La rupture force l’éloignement à faire son œuvre. S’il te plait, ne vas pas trop loin. Je t’attendrai. Ou bien tu m’attendras. Nous ne nous quitterons plus. Du moins, sans nous accoucher dans l’ombre qui nous emporte. Va ! Reviens ! Je titube. Des allées et venues incessantes bouffent tous les chemins, usent les semelles de l’espoir, catapultent nos visages à des années lumière. Il n’aurait fallu qu’un moment de plus pour que nous frôlions la poitrine du gel et que nous cédions le berceau de nos étincelles aux étoiles de givre.
Tu n’es plus un lieu. Tu les occupes tous. Décomposée dans le dernier temps qui soit, la confession du silence déboutonne le jour de ton départ. Nous sommes nécessairement en danger. Il faut rendre ce qui nous a été donné.
Pas le temps de finir, pas le temps de nous inscrire dans la durée percluse d’ambre évasive. Il nous manque l’heure atemporelle. « Mourir de rire et rire de mourir », disait J. Prévert. Il nous reste ce rire parce que nous ne le possédons pas. Cette candeur joyeuse, elle remonte jusqu’à nos gorges sans que nous en connaissions sa source. Elle perfore les tubulures d’indigestes sanglots et elle admet le dérisoire que nous voudrions effacer. Parce qu’il rit de ce que nous pleurons, le temps devient une boutade aphone.
- Bruno Odile -Tous droits réservés ©