Ecriture ?
Il y a trop de mots dans cette corbeille. De tout et de rien. Des phrases sans plus d’idées, des semences sans graines, des tubulures désossées, et puis des sentences sans convictions et des expressions où la vie n’est plus. Je n’écris pas, je récite. Je ne parle plus, j’écris. Le mot ne cherche plus d’attraits, il grimpe du vide pour venir sécher la langue. Non, je ne récite pas, je raconte. Je te dis une histoire, mon histoire. Mais, ce n’est pas moi qui parle, c’est le parfum de vieilles tisanes qui refluent d’il y a longtemps. C’est le pinceau empâté de mélasses jaunies qui revient baver sa gouache épaisse.
Il y a trop de mots pour évoquer sans rien traduire, sans rien transporter : ni révolte, ni assentiment, ni dépassement. Juste un langage commun codifié pour traîner quelques fagots prés de la cheminée, pour brûler le temps qui passe. La vitrine même étincelante reste fade. Le papier est une pâte pour disparaître. La toile est un tissu pour paraître, ressembler et se différencier. Chaque main cherche dans l’écriture le reflet qui redore le « je » lâché en pâture aux regards convergents ou indifférents. Il y a bien longtemps que je n’écris plus pour les autres et je ne m’en rends compte qu’aujourd’hui. L’écriture est ma cuisine, ma bibliothèque. C’est, aussi, cette nausée qu’il me faut extirper du fond de mon être pour croire m’en défaire, pour avoir l’impression de me dévêtir de la fièvre qui m’assiège.
Non, je n’écris pas, je lave ma mémoire, j’épluche mes sens, je rafistole mes émotions. Les mots, les mots, les mots… Pas un ne saura jamais dire avec exactitude le silence bouillonnant comme une marmite sur le feu, le petit bruit de l’eau qui s’évapore. Non, je n’écris pas, je me brûle les doigts.