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LA COLLINE AUX CIGALES
27 avril 2012

Un baiser pour la brûlure.

image22sIl y a la rondeur légère d’une lune cristalline et la blancheur volcanique de la nuit sans pilier. Je m’enfonce dans le coton de ton cœur, ce nid dépouillé de plumes où je dors comme un enfant que l’on serre contre sa poitrine. Un halo de calme ouvre sa parenthèse. L’interstice d’un rêve à rebours gribouille un alphabet abandonné au travail des fourmis qui chatouillent l’ombre dans laquelle je suis aspiré. Un geste irréfléchi essuie l’évidence. Tu as disparu entre les lèvres du silence.

Mon cœur s’enfle de ses voyages sans retours. Arrérage du sel, océan de mots, jachères du récusé, le rêve sans but a l’appétit des ogres avides de sentences atterrées. Partout, des brisures perlées s’atrophient à la gestuelle de l’air.

Toute mon existence se contracte et se relâche. C’est le Tétanos des os sans sépulture, le bal de poussières où se détrompe la mort. Elle n’a rien de comparable à un refuge éternel. Elle ôte à la nuit le repos trompeur de la conscience qui s’affirme. Elle s’enflamme d’un sommeil sans repos et elle nous déficelle des catacombes que nous avions supposées distinctes à la résonance de nos blessures.

A l’effeuillé du vacillement, nos cœurs sont mitoyens aux racines de pierre. Le temps, véritable maraudeur, nous sépare. Nous avons laissé sur le bord du sentier des témoignages gravés d’inconstances fébriles, des estampes de foudre sur des murs effondrés. Demain est sans étape, dans la traversée du jour et de la nuit, déplié comme le corps d’une jambe amputée. Hier s’est décordé, lâché au vent, derrière des rideaux de velours où s’étoffe la poussière de nos chemins.

Peut-être m’observes-tu par l’autre face, à l’extrémité de là où je suis ? Tu mesures à ta façon l’obstacle qui se dresse entre nos ruisseaux de perles et l’énorme crue des heures nauséabondes. Mais aucun éclat ne me parvient et mes frissons clapotent comme des galets plats qui ricochent au fond de ma poitrine. Des taches mauves comme d’énormes ecchymoses se sont déposées sur les bords de nos photos d’antan. La tendresse acculée au désespoir forme une onde ronde dans chaque larme. Nos radeaux en feu se sont échoués sur des rives désenchantées.

Jets de sable sur nos façades salies, épures d’ammoniaque imbibant le blanc coton de nos mots devenus de la farine grumeleuse sur les écoutilles de nos désirs. Nos souhaits sont perlés d’excrétions languissantes, inabreuvées. Je siphonne l’air autant qu’il m’est possible. J’ai le souffle saccadé et la respiration haletante. Mon amour est suspendu à nos courses dérisoires. Mais aucun marathon ne pourra nous étancher de la coulure de nos fantômes. 

Vague après vague, l’étonnement s’amoncelle dans la nacelle de tes yeux. Couleur pourpre sous tes paupières, pourtant à l’écart des tisons de l’angoisse. Ta peau murmure des fables contées dans l’enfance et de ton sein coule un lait de printemps caillé. Dans mon sang s’élabore une distance qui ne sait rien de la brièveté. Mais, il est temps de dégrafer les cortèges de pudeur et de répudier les élans emphatiques gorgés de vœux inabordables.

Sous la poussière amoncelée, tu plies ta tête comme un drap au carré. Tu dévisses le cadran de l’horloge ovale où rebondit l’errance comme une balle dégonflée. Tu t’élances et tu tournoies. Tu chutes à l’horizontale et nos âmes se greffent comme des rosiers malades de chlorose, nous voilà envahis par les pucerons de l’irrationnel et de l’irréfléchi.

Une cascade de lumière s’échoue dans le buvard de nos herbes mortes et tu te déverses comme un torrent en crue. Les corbeaux n’ont plus de corps et nous ressemblent. Ils survolent le vertige qui s’engouffre dans nos coeurs serrés de mailles étroites. L’attente se filtre maintenant comme une odorante infusion de thym. Nous émergerons plus loin dans le cambouis de nos sources fluettes. Nous accouplerons nos effervescences restées intactes. Puis, nous fermerons les yeux comme des coquilles de noix et, tranquilles, nous capturerons les discrètes lueurs qui s’étirent du corps au sortir du sommeil. 

A présent, nous nous effeuillons de nos misères abandonnées aux rivières du souvenir. Elles se détachent et tombent comme des particules de peaux mortes. Nous avons si longuement habité nos résurgences comme des moinillons occupent leur nid. Nous sommes estourbis au taraud de nos fuselages. Nos épidermes s’attardent dans l’ardeur douce des somnolences duveteuses. Il faut le reconnaître, nous sommes démantelés comme un alexandrin de fortune au cœur d’une poésie en chantier. Ici, tu l’entends, j’en suis sûr, un ersatz grossier s’échappe de nos ventres ébréchés. Une pure bouffée blanche s’évade de nos circonvolutions et nous sommes aspirés dans une spirale de braise. Nous habitons l’apostrophe et nos voix sont couchées sur un buvard.

La désespérance est un soldat au combat. Il fracasse nos rêves dans la soudaineté de l’éveil. Seul l’inouï défroque les morsures du quotidien en des chairs d’émerveillement.

Tes jardins d’ouates filandreuses regorgent d’ingénues méticulosités que j’affectionne. C’est le secret plissé de nos refuges avec lesquels nous entretenons un dialogue inaudible. Tous ces mots que l’on n’entend pas demeurent des charabias incongrus dans les foins sans cesse renouvelés, réitérés et corrigés par nos désirs inépuisables. Nous ignorons tout de l’amour qui renaît de ses cendres. Sa grandeur est notre impuissance. Nos expériences s’émeuvent, nos sentiments s’écornent mais nous restons défaits et dénudés face à ce qui nous parait une adversité rugueuse, grenue.

Cet amour nous a conduits à l’évincement par la contrainte. Il nous a éloignés de nos échos et de nos calques. Tout ton souffle prend corps dans mes veines pour y faire naître un sourire discret au fond de ma chair effondrée. Tant il est vrai qu’à rechercher l’ivresse, il faudra nous saouler à la terre qui nous a donné le jour. Notre berceau de tendresse est arrimé aux racines du temps. Nous sommes des élastiques, des cordons de gomme et nous nous étirons jusqu’à la dislocation, jusqu’au point de rupture.

J’écris ici comme on pose un instant de réalité insaisissable. Tout est présent dans ma pensée, mais ce qui voit le jour est déformé. Tout s’étreint en un instant. La nature même de mon sentiment est absorbée sans que je ne puisse intercéder. Et dans ce défilé de mots, j’affaiblis ma volonté en persévérant à refuser le vide de la séparation. Comment parler de concision ? Rien n’est condensé. Rien n’est vraiment concentré comme on le croit. J’en suis réduit à m’engourdir d’hypothèses par lesquelles je m’éparpille.

Cependant, écrire est essentiel pour délivrer les nœuds de l’obscurité. Tu as semé en moi la vigueur d’une rose et toute la rosée de ton cœur m’est précieuse. L’écriture pourrait être une avalanche d’humeurs, d’émotions, de vestiges inhumés. Mais chaque fois, la revendication m’échappe. Elle m’égare. Ecrire me secoue, me ballote, m’empoigne. Je crois me désencombrer de quelque chose de fort, d’insidieux ou d’avarié et je m’abreuve seulement aux tourbillons qui me traversent comme des flammes en tutu, des danseuses bucoliques aux ballerines légères volant à la rencontre de mes brisures.

Par moments, la petite lampe frontale s’éteint, m’obligeant à continuer le chemin à l’aveugle. Mes friches se mélangent alors aux tiennes et je crois détenir la corde qui nous attache. L’illusion est si parfaite qu’il m’arrive de ne plus savoir qui je suis, où je suis, ni ce que je deviens. Mais, je persiste, je m’entête et je me révolte. Tous les chemins qui me permettent de te ressentir dans la proximité de mon recueillement sont d’une nécessité plus forte que mon entendement.

Je t’attends sans plus savoir qui viendra, est-ce le noir brouillon de mes émotions ou bien la frêle silhouette de la complicité ? J’aiguise les ombres et je hache la transparence coutumière. Mais rien n’y fait. Je suis seul, étendu sur la pierre où le battement de mon cœur résonne. Sur les chemins taillés dans la colline, les pins épluchés par le Mistral chantent en cœur un épisode du  Temps des secrets  de Marcel Pagnol.

image00sEntre deux branches de thym, les remous d’autrefois improvisent la signifiance d’un visage qui traverse le temps. Me voilà assis sur la demi-teinte de l’aube. Je suis comme un paria jeté par-dessus la rambarde de l’audace. Après l’orage, c’est pour moi l'impossible retour de l'innocence crevée sous la plume d’un oracle. Un flocon se brise dans l’onde fluctuante du pêcheur qui dessale. Ici, les voix n’ont plus de messages pour la raison et les saisons tombent leur masque de couleurs. Je salive du rêve, je décoquille le souvenir. 

Un peu de ta vigueur s’écoule sur le squelette de notre arc-en-ciel. J’aime quand les mots s’accordent à l’émotion dont la source s’épand du ruisseau de montagne à l’herbe de la plaine. Non, ce n’est pas l’amour qui projette ses élixirs sur la fêlure du monde. Les phrases naissent dans la chair, elles ont traversé l’alphabet de la pierre noire où s’ajoure le sang sorti du muscle de vie. Reste une écharpe rouge pour le songe doux, une brindille pour le feu, un baiser pour la brûlure. Quand le vent cesse, l’air continue d’arroser la terre jusqu’à la mer dans son ébullition de bleu. Je t’écris dans le silence démesuré de la feuille vierge et la page me cogne les yeux. Le papier bredouille l’émotion. Quand l’encre se met à parler, je ne suis plus tout à fait seul. Quelque chose m’accompagne et se promène dans la sombre étendue qui gonfle mes paupières. L’œil est sous le sabot troué.

Je voudrais pouvoir m’immiscer un instant dans l’espace de la mort pour arracher à sa valise tout le chagrin d’une solitude amère. Pour mon cœur, l’absence ressemble à une aumône inguérissable. Tout l’or du monde s’épuise dans tes yeux. L’espoir ne s’écrit pas. L’amour s’accorde avec la chair déterminée.

Faut-il croire ces feuilles à demi mortes jonchant la route encombrée du langage commun et pourtant inadapté ? L’encre colle à ma poitrine comme une émotion chargée d’aversions purulentes. De gros furoncles remontent à la surface.

La mort, dit-on, arrête les pendules mais l’horloge continue à rythmer le présent. Vois, combien je meurs à mon tour de ne pas savoir oublier. Combien de temps faudra-t-il avant que la peinture ne sèche ? Combien de ronces offriront des mûres ? Comment se démêle cette bouillie qui se mélange à ma voix ?

Je voudrais rompre avec l’ambivalence des heures moites malgré le souffle gelé. Il m’importe d’apaiser la blessure et de la sauver par des petits moments de joie trépidante. Mais rien n’est jamais acquis et il faut faire avec les ressources du jour. L’acte nous change, il nous accrédite et nous lessive pareillement. Il est primordial de réhabiliter l’autre qui est en soi. Dans le regard de l’autre, on s’affranchit de la reconnaissance qui nous est retournée. On se remanie, on se disculpe, on redevient sensible au premier instant. Tu vois, encore une fois, je crois que marcher vers toi c’est aussi aller à l’école de la vie. C’est apprendre à démissionner de ce qu’on pense de soi et des autres pour convenir de sa propre identité. C’est aussi, apprendre à se détacher de l’objectif recherché avec obstination. Il nous faut apprendre à ouvrir des chemins neufs sans nous soucier de l’aboutissement des premiers pas. Et puis, n’est-t-il pas essentiel d’accueillir avec tolérance le passé redevenu un présent immédiat ? Ne faut-il pas lui accorder le pardon chaleureux nécessaire pour briser le mépris de nous-mêmes ?

Bric-à-brac d’inaudibles lueurs. Le volume de la voix réside dans l’imprononçable calcul de la chair. Il faut décortiquer le ventre des mots déposés puis suspendus dans l’air pour improviser de nouvelles phrases. Des dailles, des enclumes et des étaux, tout un appareillage frugal s’anime pour construire des parenthèses. Ce qui ne s’entend pas claque la porte. L’indicible se ratatine sous la langue et des milliers de grumeaux étouffent un peu la respiration. Mon rêve se heurte à la poésie molle des jours sans stupéfaction. Si tu étais physiquement là, emboîtée à la buée du jour, le silence porterait à lui seul l’envergure du ciel raffermi par le scintillement des astres inatteignables. Au lieu de cela, mes lèvres se butent et se culbutent sur la paroi muette du désir inconcevable. Il n’y a rien à dire. Rien à prévoir. L’absence officie comme un alcool frelaté. Le calice de nos conjurations anciennes déborde et c’est le vide qui boit nos démesures. Il n’y a plus rien. Tout est dissipé, tout est ventilé sur d’autres lieux provisoires. J’ai tout de même la ferme certitude de te tenir dans ma main. J’ai la conviction que tu demeures vraie au-delà de la transparence. J’ai deux mains lissent par lesquelles tu glisses comme une flamme communiant son effervescence.

Mon corps a connu l’ablation et la coupure, il sait la pensée volatile et le grain de l’air insupportable par moment. La dichotomie insensée de la parole et du verbe me charrie comme un sac de sable en plein désert. Chaque phrase n’est finalement qu’une défragmentation insoluble de mon cœur. Je te tiens et te retiens comme une fuite incompressible. Tu voyages en dehors des courants immobiles. Ta mort n’est rien comparée à la dimension que tu occupes désormais dans la salive de mes gestes. Le néant n’a pas prévu d’escales prometteuses. Le contre-jour sait la proximité de la nuit qui le touche. Elle témoignera sans doute mieux que toutes les prières dures restées en chapelets au fond de ma gorge. Le temps est ingrat. Les heures envolées emportent avec elles l’attente sur laquelle nous n’avons pas de prise. Je t’ai longtemps attendue. Je ne t’attends plus. Je t’avais perdue dans les dédales de ma propre turbulence. Je t’ai retrouvée lorsque j’ai pu mettre un nom sur ma vie. L’amour n’a pas de trace. Il y a tout autour de nous une fragrance de thym et cela suffit à ce que la colline de notre enfance s’érige sous ma peau.

Regard contre regard, un pont suspend son ossature à l’orée du bleu. Bleu comme la poudre verdâtre de la brume. Bleu comme l’écho tournoie dans le murmure des lignes.

Depuis que j’ai frôlé la mort, je vis par procuration. Je me dissocie volontiers de l’acte. Je l’accompagne. Ma vie exécute son mandat et je lui en suis gré. Je suis tout entier dans l’ego. Si fortement, que je suppose n’être que la sauvegarde de moi-même.

Sur le long chemin qui s’annonce, mes pieds effleurent le sol. Je suis une étape. J’habite le port de mes craintes et de mes frayeurs. La contrainte use les gonds. La porte grince et ne ferme plus. L’air s’en va rejoindre la lumière. L’angoisse s’est enrhumée. L’éternuement est providentiel lorsqu’il délivre la goulée de fer restée dans la voix. Pourtant, l’infini sera toujours plus proche de ta voix et d’un rêve de fourmi que de la multitude des passions humaines perdues dans des nuées égotiques. Rien ne se termine. Même lorsque le prolongement n’a pas le visage de la continuité. L’inertie meurtrière a chuté dans la cascade qui m’emporte prés de toi. La tendresse ajoute à la clarté de l’aube une fine lueur de bleu. Le ciel n’en est que plus grand.

Ma liberté engage ma fidélité. Merveilleuse liberté, celle que l'on choisit sans véritablement estimer la vaillance tant elle nous dépasse. Une cordée d'amour rayonne dans l'empoignade des coeurs.

 

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Commentaires
B
Les mots s’en-volent. Troubadours de porte en porte, ils sont des Bateleurs. <br /> <br /> Plus que le mot lu, la sensation éprouvée.<br /> <br /> Merci, Pierre.
B
C’est chaud et parfois chaud-brûlant.<br /> <br /> Merci, Jeanne, le feu jongle de cœur en cœur.
B
Lise, ce ne sont pas les mots, c’est la vie qui est immense.
J
"vois combien je meurs à mon tour de ne pas savoir oublier"<br /> <br /> <br /> <br /> touchée touchée...
P
écriture, avalanche d'humeurs et d'émotion pour celui ou celle qui pose les mots sur le drap immaculé de la feuille. écritue, avalanche de vibrations et d'excitations pour celui qui pose les yeux, qui vole les mots, ces mots qui volent au fil des vents incertains qui tourmentent ou apaisent; ces mots qui volent nos pensées intimes pour les jeter en pâture en geste de partage.<br /> <br /> J'ai toujours autant de bonheur de voler vos mots. Ce sont des trésors qui me rendent plus riche. Merci.<br /> <br /> Je vous souhaite un beau dimanche plein de soleil.<br /> <br /> Pierre
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