Cioran, mon ami !
Nous vivons tous comme si l’on ne devait jamais mourir. C’est l’oubli qui nous protège de la perte. La seule mémoire cellulaire est notre radeau.
Pourtant, il n’y a pas de violence dans la mort. Elle est le contraire de la violence. Elle est tout ce que la vie ne saura jamais être. Elle advient à son heure sans que rien ne la gène et ne l’altère. Elle coupe court à tout jugement, à tout excès.
Elle est, à mes yeux, l’absolu bonheur inabordable de l’existence. C’est le lieu de sérénité totale. Et, je comprends bien que la vie s’en méfie, qu’elle en soit sa plus grande peur. Sa hantise.
C’est la pendaison, le meurtre de nos pensées telles que nous les estimons. Elle est pourtant notre seul sauvetage. Elle est l’expression pure de la culpabilité enfouie qui érode nos chairs. C’est pour cela qu’on rêve, c’est pour cela qu’on croit, qu’on créé et qu’on aime. C’est pour cela qu’on vit. Sans doute.
La mort est le seul lieu commun existentiel avec le silence intégral. Y expire le raisonné de la conscience, la défaillance des sens, la compréhension déformée de soi-même. Elle nous renvoie à l’image de la vie : tout à la fois un don et une malédiction.
Sans doute parce qu’elle nous offre de voir ce que l’on craint le plus. Dans la perte réside, loge, habite, la paix que l’on a jamais connu. En arrivant au monde, nous sommes déjà veufs de nos histoires. Nous avons oublié notre vie fœtale, notre appartenance au monde des abîmes. Nous avons en nous la puissance de la conscience de l’instant. Nos marques reptiliennes, nos traces préhistoriques, les sens de l’algue marine qui danse sous la mer, tout c’est enfui. Tout est pourtant là imprimé à nos sangs. Nous crions jusqu’à plus soif. Nul écho pour nous répondre. Nulle capacité à nous délayer de nos gènes incrémentés à la douleur et à nos avaries élémentaires.
Au début du monde, l’embryon d’où nous venons. A la naissance, notre accouchement est cette première épreuve qui porte nos premières larmes, notre cri de désespoir, notre insuffisance à savoir nous défaire de nous-mêmes pour inventer d’autres chemins, d’autres destinés plus radieuses.
La mort n’est ni passé, ni futur. Parce que la vie est ce souffle fragile de l’instant. Parce que la mort occupe tous les lieux où l’immédiat se tait, où les formes sont dépossédées, où nous ne sommes plus que l’essentiel.
Nos pensées ne sont que des veilles latentes, des sentinelles du temps. L’amour nous sauve de la gangrène irrémédiable : notre appréciation du monde.
Sans la vie, la mort nous serait une merveilleuse escapade, le temple de notre débauche éternelle. Et, nous pourrions alors danser comme des flammes sans braise.