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LA COLLINE AUX CIGALES
22 juillet 2010

Joseph de Maistre

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Joseph de Maistre : « Il n'existe point d'homme dans le monde »

Pas question, ici, d'hommes de chair et d'os. Joseph de Maistre s'illustre en combattant les Lumières et dénonce, dans Considérations sur la France, une imposture idéologique : l'homme universel, idéalisé par la Révolution.

Par Olivia Gazalé
Pour affirmer que l'homme n'existe pas, Joseph de Maistre aurait-il vécu dans un autre monde que le nôtre ? Un cosmos parallèle, déserté par les hommes? Balayons vite ce contresens : l'« homme » dont il est question n'est pas un simple échantillon de l'espèce humaine. D'ailleurs, dit-il, « j'ai vu, dans ma vie, des Français, des Italiens, des Russes… ; je sais même, grâce à Montesquieu, qu'on peut être Persan ».
Des hommes réels, en chair et en os, oui, Joseph de Maistre en a croisé un grand nombre, des hommes enracinés dans un peuple et une culture ; mais l'homme, au singulier, qu'il affirme en revanche n'avoir « jamais rencontré de sa vie », c'est l'homme abstrait, universel et désincarné postulé par l'humanisme des Lumières. Cet homme-là n'existe pas à proprement parler. C'est une « hypothèse idéale » ou encore un « sophisme métaphysique » tout droit issu de l'imagination démiurgique des révolutionnaires. Où se cache cette créature fantasmée, cet homme libre et égal à tous ses semblables, porteur de droits inaliénables et sacrés ? Cet individu si rationnel qu'il serait à même de s'autodéterminer dans ses choix moraux et politiques ? Cet homme si sage qu'il aurait un jour signé un « contrat social » avec ses concitoyens, un pacte fondateur dont il serait lui-même l'auteur ?
De vous à moi, nous dit Joseph de Maistre, s'il y eut pacte, c'est avec le diable. Cet homme-là est une chimère maléfique, une dangereuse imposture idéologique, responsable de la Terreur et de la dictature napoléonienne.
« La faute à Rousseau », accusé de cécité et de « folie ». Il faut être bien irrationnel pour prêter à l'homme tant de rationalité, et bien « ridicule » pour « juger de tout d'après des règles abstraites, sans égard à l'expérience ».

Pour ce monarchiste ultramontain, la Révolution est responsable du second péché originel : avoir substitué à l'ordre traditionnel, hiérarchique et voulu par Dieu, l'image fictive d'une société autofondée, individualiste et égalitaire. Un geste si blasphématoire qu'il faut y voir l'ombre de Satan. L'homme des Lumières, en proie à un délire prométhéen, a commis le sacrilège suprême – la dissolution pure et simple du droit divin – au nom d'une confiance naïve et présomptueuse dans les pouvoirs de la raison. À Kant exhortant chacun à « avoir le courage d'user de son propre entendement » (sapere aude), de Maistre répond que « le chef-d'oeuvre de raisonnement est de découvrir le point où il faut cesser de raisonner » et fait l'apologie des « préjugés utiles ». Les spéculations métaphysico-morales ne valent pas une heure de peine : seuls comptent les faits. La valeur d'une institution, d'une loi ou d'une coutume ne se mesure qu'à l'aune de sa longévité. La seule consécration légitime est celle du temps, de l'ancienneté et de l'en­racinement. En réalité, l'homme ne fabrique pas la société, c'est la société qui le façonne à son insu.

En révélant aux hommes qu'ils ne s'appartiennent pas, l'ardent contre-révolutionnaire ouvre para­doxalement la voie à une révolution épistémologique : la découverte de l'impensé, dont les sciences humaines feront leur miel. Les hommes agissent et pensent sans savoir au fond d'où ils parlent vraiment. Près de deux siècles après Joseph de Maistre, les structuralistes signeront à leur tour, dans l'optique qui est la leur, l'arrêt de « mort de l'homme » et dissèqueront l'étrange cadavre de cet homme mort… de n'avoir jamais existé.


Joseph de Maistre en six dates
1753. Naissance à Chambéry, dans le royaume de Savoie, le 1er avril.
1788. Nommé sénateur dans une cour de justice de Savoie.
1793. Les Français envahissent la Savoie. Il se réfugie au Piémont, puis à Lausanne et à Turin.
1796. Parution des Considérations sur la France.
1803. Il part à Saint-Pétersbourg en tant que ministre plénipotentiaire du roi de Sardaigne.
1821. Mort à Turin. Parution posthume des Soirées de Saint-Pétersbourg.

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