E - 013 - Quelque part déroutant.
J’ai le souvenir d’une nuit, d’une nuit dépolie sur le revers du cœur. D’une nuit sans aucun matin, une nuit qui dure longtemps. Depuis je ne dors que d’un œil, depuis je dors du bout du cœur. Je dors dans la lenteur du secret des lumières.
J’ai le souvenir d’une nuit où quelque chose se perd, où quelque chose tombe, chute dans l’espace comme tombe une pluie qui importune.
Il manque toujours un mot. C'est le mot qui manque à toutes les phrases...
C’est une nuit sans emphase, un long mouvement fragile qui troue les mémoires. Je me souviens d’un ciel sans étoiles, d’une berceuse sans refrain. Une nuit de silence, un temps replié sur toutes les absences.
J’ai le souvenir d’une nuit, oubliée parmi toutes les autres. Une nuit si légère qu’elle s’évapore dans la peau de l’autre. Qu’elle s’efface comme une buée, comme un trait de craie, un tiret de nuage. Une nuit sans souvenir, une nuit de perles et de roches blottit dans un coin de peau, dans un grain de soupir.
Il manque toujours un mot. C'est le mot qui manque à toutes les phrases...
C’est une voix sans parole, une musique qui crépite comme un feu de cheminée. Une histoire muette qui s’inscrit sans lettre et sans dessin. Une nuit de voix basses et de murmures inaudibles, une nuit de presque rien. Un bout de toi, une brèche de moi, un océan sans lumière perdu dans un coin de nous.
J’ai le souvenir d’une nuit d’argile où les ombres se réveillent et dansent dans le silence profond comme des sirènes de fumée aux sourires qui piquent les yeux, aux visages qui froissent les cieux et délient les songes. Une nuit où les mains se rejoignent et parlent la langue des couvertures et celle des émotions. Une nuit fragile qui coule de son écrin comme une fontaine douce arrosant le matin.
C’était un matin charmant, une fin de nuit sans sommeil véritable, juste des regards sous les paupières, juste des souvenirs gravés dans des reflets incertains. Juste une mélancolie comme lorsque lambine de soi dans les yeux de l’enfant que l’on a connu que l’on a su et habité.
J’ai le souvenir d’une nuit qui n’aura connu vraiment ni le noir où tout s’efface ni l’aube prématurée submergeant l’espoir. Cette enfance perdue que la vie grignote et dont les copeaux remontent à la surface comme des bulles d’air cliquetant la surface d’une eau immobile.
De cette nuit sans limite j’ai gardé la peau moite et la sueur du vertige comme un enfant dort auprès de son nounours pour apaiser la crainte de s’endormir et ne plus se réveiller.
J’ai le souvenir d’une nuit d’argile qui cherche encore où va se coudre le jour.
Il manque toujours un mot. C'est le mot qui manque à toutes les phrases...